Główna
Une histoire érotique de la diplomatie
Une histoire érotique de la diplomatie
Nicolas Mietton [Mietton, Nicolas]
0 /
0
Jak bardzo podobała Ci się ta książka?
Jaka jest jakość pobranego pliku?
Pobierz książkę, aby ocenić jej jakość
Jaka jest jakość pobranych plików?
Rok:
2016
Wydawnictwo:
Éditions Payot
Język:
french
ISBN 10:
2228916536
ISBN 13:
9782228916530
Plik:
EPUB, 1.40 MB
Twoje tagi:
Ściągnij (epub, 1.40 MB)
- Checking other formats...
- Konwertować w FB2
- Konwertować w PDF
- Konwertować w MOBI
- Konwertować w TXT
- Konwertować w RTF
- Przekonwertowany plik może różnić się od oryginału. Jeśli to możliwe, lepiej pobierz plik w oryginalnym formacie.
Zgłoś problem
This book has a different problem? Report it to us
Check Yes if
Check Yes if
Check Yes if
Check Yes if
you were able to open the file
the file contains a book (comics are also acceptable)
the content of the book is acceptable
Title, Author and Language of the file match the book description. Ignore other fields as they are secondary!
Check No if
Check No if
Check No if
Check No if
- the file is damaged
- the file is DRM protected
- the file is not a book (e.g. executable, xls, html, xml)
- the file is an article
- the file is a book excerpt
- the file is a magazine
- the file is a test blank
- the file is a spam
you believe the content of the book is unacceptable and should be blocked
Title, Author or Language of the file do not match the book description. Ignore other fields.
Are you sure the file is of bad quality? Report about it
Change your answer
Thanks for your participation!
Together we will make our library even better
Together we will make our library even better
Plik zostanie dostarczony na Twój e-mail w ciągu 1-5 minut.
Plik zostanie dostarczony do Twojego Kindle w ciągu 1-5 minut.
Uwaga: musisz zweryfikować każdą książkę, którą chcesz wysłać na swój Kindle. Sprawdź swoją skrzynkę pocztową pod kątem e-maila weryfikacyjnego z Amazon Kindle Support.
Uwaga: musisz zweryfikować każdą książkę, którą chcesz wysłać na swój Kindle. Sprawdź swoją skrzynkę pocztową pod kątem e-maila weryfikacyjnego z Amazon Kindle Support.
Conversion to is in progress
Conversion to is failed
Możesz być zainteresowany Powered by Rec2Me
Najbardziej popularne frazy
les836
que589
qui533
elle526
lui461
une445
dans431
pas357
avait353
ses352
avec344
par308
mais256
france248
louis240
roi207
sur185
marie182
fut177
comme176
cette168
vous156
mme151
aux148
bien137
tout136
est118
deux116
la france115
faire110
de france104
louis xv102
duc102
ans100
le roi99
mme de95
leur91
sans90
de ses88
alors87
reine86
fait83
fille80
sous80
guerre79
ministre78
femme76
fois73
de louis71
aussi71
temps70
bernis70
ils69
duc de66
dans la65
morny63
du roi62
Powiązane listy książek
0 comments
Możesz zostawić recenzję książki i podzielić się swoimi doświadczeniami. Inni czytelnicy będą zainteresowani Twoją opinią na temat przeczytanych książek. Niezależnie od tego, czy książka ci się podoba, czy nie, jeśli powiesz im szczerze i szczegółowo, ludzie będą mogli znaleźć dla siebie nowe książki, które ich zainteresują.
1
|
2
|
Présentation Du Grand Siècle à la Cinquième République, on a beaucoup couché pour maintenir la grandeur de l’État, et la diplomatie française fut faite de relations amoureuses ou sexuelles plus souvent qu’on ne croit. Il y eut des ambassadeurs-étalons, tel La Chétardie auprès de la tsarine Élisabeth Petrovna, et des maîtresses influentes, telle la Castiglione venue plaider la cause de l’Unité italienne dans le lit de Napoléon III. Il y eut des diplomates restés célèbres pour leur chaude nature, comme Bernis, tandis que d’autres passent à tort pour froids, comme Guizot. Après que les ébats des rois de France eurent secoué l’Europe, la République finança avec le plus grand sérieux une politique étrangère érotique : sous la Troisième, l’expression officielle « visite au président du Sénat » désignait en réalité les plaisirs officieux que se voyaient offrir princes et souverains en visite à Paris. Une histoire à rebondissements où les valises diplomatiques sont aussi des vanity-cases. Historien, Nicolas Mietton est féru de Mémoires et autres Journaux. Il a notamment établi l’édition critique du Journal de Maurice Paléologue, qui fut ambassadeur de France en Russie de 1914 à 1917 (Le Crépuscule des tsars, Mercure de France, 2007). ÉDITIONS PAYOT & RIVAGES payot-rivages.fr Illustration de couverture : quadrille (« la poule »), d’après un dessin de Dutailly, Le Bon Genre, no 43, 1827 © Florilegius/Leemage ; conception graphique : Éric Doxat. © Éditions Payot & Rivages, Paris, 2016 ISBN : 978-2-228-91668-4 « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions ; civiles ou pénales. » À Pauline C., mon ambassadrice. Prologue ÉROTISME. – Recherche variée de l’excitation sexuelle. DIPLOMATIE. – Habileté, tact dans les relations avec autrui. Larousse. L’idée du présent ouvrage m’est venue en conversant avec un ami, fonctionnaire au Palais-Bourbon, c’est-à-dire à deux pas du ministère des Affaires étrangères, encore appelé « Quai d’Orsay ». Depuis la terrasse du 101 de la rue de l’Université, nous contemplions le Quai, avec au loin les jardins et l’hôtel du ministre. Il me raconta alors un souvenir amusant. Il y a de cela un certain nombre d’années, cet ami intégra la prestigieuse commission des Affaires étrangères après avoir réussi le concours d’administrateur de l’Assemblée nationale. Ses supérieurs lui demandèrent alors d’accompagner une délégation de députés en partance pour l’Amérique latine. Comme d’habitude, il s’agissait de promouvoir l’image de la France et de constater le bon fonctionnement de nos ambassades et consulats. Après une halte dans un pays où l’ambassadeur, grand amateur d’antiquités toltèques, se faisait gruger par un escroc qui lui vendait des poteries made in Hong Kong, la délégation arriva dans une capitale andine. L’ambassadeur, prévoyant la fatigue de ses hôtes, avait bien fait les choses et commandé un confortable petit déjeuner à la résidence pour le lendemain. Cette honnête Excellence était pourvue (ou affligé, c’est selon) d’une épouse que le mal du pays et d’autres déceptions poussaient à piquer du nez dans le whisky. Comme on s’en doute, l’altitude et le mal de l’air n’arrangeaient pas son alcoolisme mondain. Le lendemain, donc, sur le coup de dix heures, la petite troupe arriva à la résidence, où les attendaient l’ambassadeur et sa femme. L’ambassadrice en était à son troisième verre. Bien vite, elle en commanda un quatrième. Il est vrai qu’à cette époque elle en avait gros sur le cœur. En effet, l’altitude, l’humidité et la mauvaise qualité des peintures réduisaient à rien le plafond de sa salle de bains. Afin qu’il remédie à ce lamentable état de fait, elle harcelait son mari, sans que ce dernier arrive à obtenir une subvention du ministère, lequel, comme toujours lorsque ses ouailles crient misère, faisait la sourde oreille. Exaspérée par tant d’inertie, la malheureuse ambassadrice attendait les députés comme autant de messies. Impatiente, elle s’accrocha au bras du jeune administrateur, qu’en raison de sa haute taille et de ses fonctions « techniques » elle prit peut-être pour le plus susceptible de résoudre son petit problème. « Jeune homme, lui dit-elle, venez que je vous montre ce que mon piètre mari est incapable de débrouiller », et elle l’entraîna. Bien entendu, les explications furent longues. Interloqués, les députés attendirent le retour de leur assistant, qui réapparut enfin, fort embarrassé. Émoustillé, le chef de la délégation le prit à part : « Mais, X…, que vous a-t-elle fait pour vous retenir aussi longtemps ? – Monsieur, elle m’a montré son ciel de douche. » La repartie amusa la délégation jusqu’à son retour en France et valut un temps à son auteur une réputation flatteuse de don juan d’ambassade. À la lecture de cette petite histoire, des diplomates ou de fins connaisseurs du monde du Quai lèveront sans doute les yeux au ciel (de leur douche ?), en s’exclamant : « Quoi, ce n’est que ça ! Une aimable anecdote ? » Il est vrai que certains ont vu pire. S’il fallait comptabiliser toutes les frasques du ministère depuis ses débuts, une encyclopédie n’y suffirait pas : derrière leur réputation d’impassibilité, les diplomates font parfois très fort en matière de sexe. Maurice Couve de Murville le constata à diverses reprises à ses dépens. Alors qu’il voyageait en Extrême-Orient, il débarqua dans une ambassade dont le titulaire gardait auprès de lui un bel éphèbe. Comme l’ambassadeur se prénommait Achille, ses subordonnés avaient surnommé le garçon le « Tendron d’Achille ». À force de le voir hanter, oisif et beau, les couloirs de la chancellerie, le ministre un peu interloqué lui demanda qui il était. « Je suis la femme de l’ambassadeur », répondit l’autre, peu au fait de toutes les subtilités de la langue française. On imagine la mine guindée de Couve. N’avait-il pas fait remarquer un jour à de Gaulle la nature invertie d’un ambassadeur qu’on s’apprêtait à nommer dans une capitale prestigieuse ? À part ça, il n’avait rien à reprocher au diplomate. « Couve, mêlez-vous de vos fesses », lui aurait alors répondu de Gaulle, pourtant peu porté sur la badinerie. Après tout, le Général avait peut-être raison. C’était moins grave que les goûts faisandés d’un certain homme politique célèbre, naguère ministre des Affaires étrangères sous la Quatrième République. Cet auguste personnage appréciait les très jeunes filles, qui ranimaient ses sens flétris. Son cabinet le savait et, lors de ses déplacements à l’étranger, payait ses débauches puis portait la note au budget « oreiller du ministre ». À peu près à la même époque, Mme Claude, lorsqu’elle fournissait des filles à Kennedy ou au shah d’Iran, était une gorge profonde précieuse pour le gouvernement français. Une diplomate d’un genre spécial, en somme. Le lecteur objectera que ces faits remontent à un demi-siècle, sinon davantage. Est-ce à dire que les débordements du ministère des Affaires étrangères ont pris fin depuis ? Certes non. Mais à quoi bon répertorier une suite de scandales qui tendraient à accréditer que le Quai est un lupanar peuplé de dangereux obsédés sexuels ? Certains journalistes s’y sont récemment essayés en pointant des faits véridiques et gravissimes. Ils partent du principe que, le Quai ayant un devoir de représentation, les dérapages des diplomates portent d’autant plus à conséquences. Ils oublient cependant qu’au final ledit ministère ne compte pas plus de brebis galeuses que d’autres milieux. Ce livre ne se veut donc pas graveleux mais vise au contraire à intégrer la « petite » histoire érotique des Affaires étrangères dans la « grande » histoire diplomatique. Le récit débutera sous Louis le Grand pour s’achever sous le grand Charles. Il peut sembler étrange de réunir sur une même ligne deux hommes si différents, l’un couvert de femmes et l’autre fidèle à la sienne. De commencer avec Marie Mancini pour finir avec tante Yvonne. Et pourtant, les dates retenues ont leur cohérence. 1648-1658 correspond à une période charnière : les traités de Westphalie puis la bataille des Dunes, qui annonce la paix des Pyrénées, ouvrent un règne glorieux et fondent la diplomatie française moderne. Autre période charnière : 1958-1968. L’aventure gaullienne, avec sa quête de grandeur, redonne un peu de panache à notre politique étrangère. Entre ces deux moments se sont écoulés un peu plus de trois cents ans qui ont coïncidé avec la période la plus brillante de notre diplomatie. À cette cohérence chronologique correspondra l’unité de lieu. Tout se déroulera sur la scène européenne. Exit donc l’abbé de Choisy habillé en femme, qui fut de l’ambassade de Louis XIV au Siam. Cela est bel et bon, répondra le lecteur obstiné, mais où est l’érotisme là-dedans ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler la nature toute particulière de la diplomatie. Constantin de Grunwald, historien oublié aujourd’hui, à tort, et ancien fonctionnaire au ministère russe des Affaires étrangères avant 1917, l’a parfaitement résumé dans sa Vie de Metternich. Après avoir rappelé que le métier de diplomate, à l’égal de celui des armes, a longtemps été considéré comme l’apanage des classes privilégiées, il souligne que cette fonction s’exerce dans une sphère tout abstraite : « Seul le diplomate, semblable en ceci au chef de l’État, doit défendre les intérêts de son pays en entier. Plus il est capable de s’élever […] au-dessus des contingences, de saisir les grandes lignes de l’évolution historique, plus il a de chances de faire une œuvre durable. Encore faut-il que le hasard le favorise… Car la carrière diplomatique est faite d’étranges contradictions. Un diplomate [doit] non seulement observer l’ambiance, mais aussi défendre les intérêts de la paix et de son pays. […] Qu’il ne sache éviter des frottements, des malentendus, il est classé comme mauvaise tête : “Surtout pas d’histoires” a été de tout temps la maxime suprême des chancelleries. Mais qu’une guerre éclate conformément à ses prévisions, […] et voilà notre diplomate promu grand homme. » Une fois décrite l’identité du diplomate, qu’en est-il de son utilité ? Il doit recevoir des messages et en envoyer, tant à son ministre qu’à la puissance auprès de laquelle il est accrédité. Mais il ne doit pas être que cela. Pour reprendre les mots de Jules Cambon, qui fut le premier secrétaire général du Quai d’Orsay, un diplomate qui se contenterait d’être une simple boîte aux lettres serait un danger public. Il doit s’informer et puiser ses informations aux meilleures sources. Et quelle meilleure source que les faiblesses de la chair ? Connaître les fantaisies, plus ou moins secrètes, d’un partenaire (diplomatique) permet de mieux l’appréhender, de devancer ses souhaits, voire de prendre barre sur lui. Quand au XVIIe siècle l’ambassadeur de France à Madrid soudoyait des valets pour examiner les caleçons du roi Charles II, il ne faisait que son devoir. Cependant, jusqu’où aller dans ce domaine scabreux sans enfreindre le sacro-saint devoir de réserve ? Le diplomate doit-il ou ne doit-il pas hésiter à payer parfois de sa personne ? Tout est sans doute question de mesure, sachant que toute règle souffre exception. Et il existe une exception de taille : celle de l’ambassadeur La Chétardie qui au XVIIIe siècle se glissa dans le lit de la tsarine Élisabeth Petrovna pour lui faire rallier le camp français. Au siècle précédent, Mlle de Keroual et la princesse des Ursins avaient chacune rempli des missions riches en rebondissements. Autres temps, autres mœurs ? L’Ancien Régime s’autorisait des audaces que la République ne pourrait se permettre aujourd’hui. Sous Louis XV, la Pompadour et Bernis négocièrent le renversement des alliances avec Vienne. Concevrait-on aujourd’hui Julie Gayet et Mgr Barbarin travaillant à un rapprochement avec Poutine ? Il est vrai que comparer le cardinal-primat des Gaules avec son illustre devancier est quelque peu hasardeux. D’un autre côté, les choses n’ont peut-être pas tant changé que ça, puisqu’on chuchote qu’il est encore risqué d’envoyer de jeunes et beaux diplomates célibataires dans des pays du Moyen-Orient… Ce qui amène à considérer le revers de la médaille de la diplomatie de salon ou de boudoir : l’érotisme est une arme qui peut se retourner contre celui (ou celle, désormais) qui la manie. Le (ou la) diplomate n’en est pas moins homme (ou femme). À penser et agir avec son cœur, voire même avec son sexe, il (ou elle) peut en perdre la tête, et sa mission s’achever en catastrophe. Que l’on songe au cas extrême que constitue le chevalier d’Éon, qui finit par ne plus trop savoir ce qu’il était lui-même : homme, femme, ou les deux ? À la même époque, on reprocha à Vergennes (pourtant regardé comme un modèle par ses successeurs) d’avoir osé épouser ce qu’il faut bien appeler une putain et d’avoir ainsi déprécié sa fonction. Plus tard, on murmura que Talleyrand déclinait dans les bras de Mme de Dino. Même reproche adressé ensuite à Guizot, en raison de ses rapports passionnés avec Mme de Lieven. Idem pour Briand avec Marie Bonaparte. Et que dire de la déconfiture d’un Roger Peyrefitte, rappelé pour avoir joué à touche-pipi avec des grooms grecs ? Ou de la chute de l’ambassadeur Maurice Dejean, coupable d’avoir cédé aux beaux yeux d’une espionne soviétique ? Tous ces petits récits appartiennent désormais à la grande histoire. Qu’ils soient divertissants ou tragiques, l’auteur espère qu’ils intéresseront maintenant le lecteur, que celui-ci soit diplomate ou pas. Au service de Sa Majesté Les amazones du Grand Siècle Parle : peut-on le voir sans penser, comme moi, Qu’en quelque obscurité que le sort l’eût fait naître, Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître ? Jean RACINE, Bérénice, acte I, scène 5. Les traités de Westphalie de 1648, en abaissant l’Empire et la papauté, donnèrent la primauté à la France. Pour la première fois, celle-ci atteignit le Rhin, mais il fallut attendre encore dix ans pour que la paix soit enfin signée avec l’Espagne. Madrid savait en effet que la principale condition à la fin des hostilités serait le mariage du roi de France avec l’infante Marie-Thérèse, fille aînée de Philippe IV. Or, ce dernier n’avait plus de fils1 et il lui semblait inconcevable que son empire, « sur lequel le soleil ne se couchait jamais2 », tombe aux mains des Bourbons. Fille et sœur de monarques espagnols, Anne d’Autriche souhaitait passionnément ce mariage qui ramènerait la paix entre les deux grandes puissances catholiques. Cependant, un événement inouï se produisit quand le jeune Louis XIV s’éprit de Marie Mancini, l’une des nièces du cardinal Mazarin. Tout allait-il être compromis par la faute d’une amourette ? L’Europe retint son souffle : le long règne du Roi-Soleil s’annonçait tumultueux ! * Louis était un beau jeune homme à la sensualité impérieuse. Enfant, il appréciait déjà la compagnie des dames d’honneur de sa mère. Celle-ci le fit déniaiser par une de ses femmes de chambre, Mme de Beauvais, qui était borgne mais possédait en ce domaine une solide expérience. Il faut croire qu’elle était douée puisque le roi lui fit don d’un très bel hôtel particulier et lui conserva toujours son amitié. Constatant sa précocité, son entourage pensa très tôt à le marier. Comme la guerre contre l’Espagne s’éternisait, il fut un temps question de lui faire épouser sa cousine, Mlle de Montpensier, la fille aînée de Gaston d’Orléans. Richissime mais pas très belle, celle qu’on appelait la « Grande Mademoiselle » rejoignit la Fronde et ordonna de tirer au canon sur les troupes royales, sabordant du même coup son mariage avec Louis (juillet 1652). Quelques mois plus tard, au début de l’année 1653, Mazarin, qui avait été contraint de s’exiler, revint au pouvoir et appela auprès de lui ses nièces, filles de sa sœur Mancini. La cour les surnomma « Mazarinettes ». Un horoscope avait prédit que l’une d’elles, prénommée Marie, bouleverserait le monde. Sur le moment, elle ne retint pourtant guère l’attention : brune avec le teint basané, elle passait pour laide, contrairement à sa sœur aînée, Olympe. Belle et habile, celle-ci eut une brève aventure avec le roi. Pensant faire sa cour au cardinal, l’ex-reine Christine de Suède s’exclama publiquement qu’Olympe ferait une excellente souveraine. Prudent, Mazarin ne donna pas suite à cette idée extravagante bien digne de Christine, qui passait pour folle. D’ailleurs, la Suédoise ayant osé faire assassiner son amant Monaldeschi à Fontainebleau en novembre 1657, le cardinal la pria de bien vouloir quitter la France. Lucide quant à son peu de chances de devenir reine, Olympe rabattit ses ambitions en épousant un prince de Carignan, que l’on titra comte de Soissons. C’est à cette époque que sa sœur Marie suscita l’amour du roi. En juillet 1658, lorsqu’il tomba gravement malade à Calais et que les courtisans le tinrent pour perdu, elle fut la seule à manifester une émotion sincère. Contre toute attente, il survécut et n’oublia pas les attentions qu’elle lui avait manifestées. Il gagna Compiègne, puis Fontainebleau à l’automne, et y traita la jeune fille avec les plus grands honneurs. Il l’appelait « Ma Reine » et leur passion divisait la cour. Anne d’Autriche menaça même le cardinal de se mettre à la tête de troupes et de marcher contre lui s’il soutenait les folles ambitions de sa nièce. Ce qui, dans la bouche de l’altière souveraine, n’était pas un vain mot. Dans les faits, Anne et Mazarin avaient eu très peur : la maladie du roi était apparue à beaucoup comme le signe du courroux divin contre une guerre qui désolait la chrétienté. Très émue, la reine mère pressa son ministre de conclure la paix au plus vite. Pour brusquer les choses, l’astucieux Italien fit courir le bruit que Louis XIV s’apprêtait à épouser sa cousine, Marguerite-Yolande de Savoie. Afin de donner plus de crédit à la chose, toute la cour gagna Lyon, où le roi fit la connaissance de la princesse (novembre 1658). Celle-ci était venue avec sa mère, la duchesse douairière Christine de France, ravie à la perspective de cette union. En revanche, le frère de Marguerite-Yolande, le duc Charles-Emmanuel II, flaira la manœuvre et se montra plus circonspect. Pourtant, Louis XIV trouva la Savoyarde à son goût. Certes, elle était petite avec le teint brun, mais elle avait des yeux admirables. Le plan de Mazarin réussit. Apprenant le projet savoyard, Philippe IV déclara que c’était une chose impossible : « Esto no puede ser y no será – Cela ne peut être et ne sera pas ! » s’exclama-t-il. Il en était venu à considérer le mariage de sa fille avec Louis XIV comme une fatalité. Quant à l’infante, elle devait plus tard avouer qu’à cette époque elle avait « dans le cœur un pressentiment qui l’avertissait que le roi devait être son mari et qu’elle seule était entièrement digne de lui » par la grandeur de sa naissance. Un portrait de Louis fut envoyé à Madrid et elle s’inclinait en rougissant chaque fois qu’elle passait devant lui. Se décidant, Philippe IV dépêcha à Lyon un émissaire secret, Antonio Pimentel, cousin du Principal ministre, Don Luis de Haro, chargé d’offrir à Mazarin « le mariage et la paix ». Fort gênée, Anne d’Autriche avoua la supercherie à sa belle-sœur Christine. La duchesse poussa les hauts cris mais se calma un peu quand Mazarin lui promit que Louis épouserait sa fille s’il survenait un empêchement au mariage avec l’infante. Le cardinal offrit aussi à Marguerite-Yolande de beaux bijoux et la jeune princesse donna l’impression d’oublier l’outrage. De toute façon, sa candidature semblait déjà compromise. En effet, le bruit qu’elle était bossue était parvenu aux oreilles du roi, qui exigea alors de la voir en chemise de nuit. Le résultat ne dut pas être probant puisque les courtisans notèrent qu’il se montra désormais beaucoup plus froid avec elle. Faute d’être reine de France, elle allait devenir duchesse de Parme et s’éteindre bientôt. En janvier 1659, la cour revint à Paris, où Mazarin poursuivit les négociations avec Pimentel. Les choses traînèrent en longueur car Madrid exigeait la renonciation de l’infante à son héritage3. Mazarin et son conseiller, Hugues de Lionne, y consentirent, moyennant4 le versement d’une dot énorme de 500 000 écus d’or – dot que Madrid était bien en peine de fournir. Les préliminaires de la paix des Pyrénées furent signés en juin. Le cardinal aurait eu toutes les raisons de s’estimer satisfait s’il n’y avait pas eu l’idylle entre son encombrante nièce et le roi. Informés de la passion de Louis XIV, les Espagnols parlèrent de rompre les négociations. Anne d’Autriche fit à nouveau des scènes à son ministre. Acculé, ce dernier décida de mettre fin au scandale. Il menaça le roi de démissionner et éloigna Marie à La Rochelle, ville dont il était gouverneur. La mort dans l’âme, les deux jeunes gens se soumirent. Avant de quitter sa Mazarinette, le monarque lui offrit un splendide rang de perles qui aurait dû être un cadeau de fiançailles. Le 22 juin 1659, il lui dit adieu. Ravalant ses larmes et son dépit, Marie aurait lancé : « Vous êtes roi, vous pleurez et je pars ! » Phrase célèbre dont Racine se souvint plus tard lorsqu’il écrivit sa Bérénice5. Invitus invitam dimisit6. « Malgré lui et malgré elle », ils se séparèrent… mais continuèrent à correspondre avec l’autorisation de la reine mère, décidément bien inconséquente. Partant pour Bordeaux, Louis fit un détour par Brouage et revit Marie. Leurs retrouvailles furent brûlantes et le bruit courut qu’ils avaient couché ensemble. Une nouvelle fois, Mazarin tonna et le roi se remit en route. Comprenant qu’il ne l’épouserait jamais, Marie fit savoir à son oncle qu’elle renonçait à écrire à son royal soupirant. D’ailleurs, celui-ci donna vite l’impression de l’oublier, en renouant avec Olympe. Cette nouvelle désespéra Marie, qui commença à envisager favorablement son mariage avec le fils du connétable Colonna, à Rome. Ainsi Mazarin faisait-il coup double : il lui procurait un somptueux établissement tout en l’éloignant définitivement de France. Tandis que Marie Mancini se résignait à son sort, les pourparlers diplomatiques se poursuivaient encore cinq mois, Don Luis de Haro tâchant d’arracher le maximum de concessions à Mazarin. La paix fut signée le 7 novembre 1659 et, le 4 juin 1660, les deux cours se rencontrèrent dans l’île des Faisans, sur la Bidassoa. Philippe IV salua cérémonieusement sa sœur Anne, qu’il n’avait pas vue depuis plus de quarante ans. Comme elle regrettait la guerre qui les avait séparés pendant un quart de siècle, il répondit que ce conflit avait été l’œuvre du diable. Peut-être faisait-il allusion à Richelieu, qui avait naguère déclenché les hostilités entre la France et l’Espagne ? L’étiquette interdisant encore à Louis de rencontrer officiellement celle qui allait devenir sa femme, il avait auparavant galopé incognito à sa rencontre pour voir à quoi elle ressemblait. Elle le reconnut, tout comme son père, qui l’accompagnait. Philippe IV admira l’allure du roi de France et laissa tomber : « Le gendre est beau garçon. » Ses adieux à sa fille furent déchirants : il la bénit, avant de s’en retourner à Madrid. Le 9 juin, les noces eurent lieu à Saint-Jean-de-Luz. * Désormais marié à l’infante, Louis XIV ne devait plus jamais perdre de vue son possible héritage. Au point que l’historien Mignet a pu dire, dans une formule célèbre, que la Succession d’Espagne fut le pivot de tout son règne. Cependant, pour mettre la main sur tout ou partie de l’Empire castillan, il lui fallait impérativement obtenir la neutralité de l’Angleterre. Cela s’annonçait plus aisé qu’il n’y paraissait de prime abord. La mort de Cromwell, en septembre 1658, avait grandement facilité les choses. En effet, le redoutable Lord Protecteur avait toujours favorisé la guerre entre les deux grandes puissances catholiques du continent. L’effacement de l’Angleterre, consécutif à son décès, fut donc l’un des facteurs qui permirent la réconciliation entre la France et l’Espagne. Le régime que Cromwell avait fondé s’effondra rapidement : il devint évident que la république était condamnée et qu’une restauration des Stuart devenait possible, ce qui se réalisa en mai 1660 avec le retour de Charles II dans son royaume. Le nouveau roi avait vécu naguère en exil en France, où s’étaient installées sa mère, sœur de Louis XIII et veuve de Charles Ier, ainsi qu’Henriette, fille de celle-ci. Il chercha d’abord à épouser la Grande Mademoiselle, mais elle avait parfaitement compris qu’il était surtout intéressé par sa fortune, et elle déclina sa proposition. L’impécunieux Charles jeta alors les yeux sur Hortense Mancini, la sœur cadette de Marie et d’Olympe. Elle était la plus jolie et la préférée des nièces de Mazarin, au point que certains la surnommaient « la Perle du cardinal ». Elle se serait bien vue régner à Londres, mais, par avarice, son oncle refusa de fournir la dot qu’exigeait Charles II. Louis XIV s’appliqua à obtenir l’alliance de son cousin restauré. Dans les Mémoires qu’il fit rédiger plus tard à l’usage du Dauphin, il note que « l’Angleterre respirait à peine de ses maux passés et ne cherchait qu’à affermir le gouvernement sous un roi nouvellement rétabli, porté d’ailleurs d’inclination pour la France ». Il négocia le mariage de son frère Philippe, duc d’Orléans, dit « Monsieur », avec Henriette d’Angleterre, la jeune sœur de Charles II, qui la chérissait et la surnommait « Minette ». Jusqu’alors, Louis n’avait guère regardé la future « Madame », car il disait ne pas être intéressé par les petites filles. De surcroît, il la trouvait affreusement maigre, au point de déclarer à son frère que celui-ci devait s’apprêter à épouser « tous les os des Saints Innocents7 ». Le roi de France changea d’avis quand il se rendit compte qu’Henriette était une créature de quinze ans délicieuse et pleine d’esprit. Au grand désespoir d’Olympe de Soissons, toujours disposée à jouer les bouche-trous, il se mit à fréquenter assidûment le cercle de sa nouvelle belle-sœur au Palais-Royal. Bien vite on murmura qu’il couchait avec elle, puis on se rendit compte qu’en fait il était tombé sous le charme d’une de ses suivantes, la jeune et jolie La Vallière. Informée, Henriette s’indigna et se plaignit à la reine mère et à Marie-Thérèse. On vit alors celles-ci sermonner le roi et lui reprocher de faire des infidélités à Madame ! La pauvre Henriette avait bien besoin d’être consolée, son mariage étant un terrible échec : Monsieur préférait les garçons et lui imposait la présence de ses gitons insolents, le chevalier de Lorraine en tête. Comme elle se rebiffait et s’entourait de galants, il l’humilia en lui faisant huit enfants en neuf ans (seules survécurent deux filles, promises à un triste destin). Henriette était en correspondance secrète avec son frère et commit la maladresse de confier ses lettres au comte de Guiche et au marquis de Vardes, qui la courtisaient. Ils la trahirent pourtant, avec l’aide de la comtesse de Soissons, toujours désireuse de reconquérir le cœur du roi, et l’accusèrent de vouloir livrer Dunkerque aux Anglais. Elle parvint à se disculper auprès du souverain, qui exila Olympe et ses complices en province. Louis XIV avait cependant compris qu’Henriette, intelligente comme elle l’était, pouvait le servir auprès de Charles II. Le règne de ce dernier s’était grandement compliqué et il avait besoin de l’aide française. « Ce dilettante avait l’ambition d’être un vrai roi8 », mais il cachait prudemment son inclination naturelle pour l’absolutisme et le catholicisme. Afin de réaliser ses ambitions, il n’hésita pas à se vendre à Louis XIV en tolérant ses empiétements aux Pays-Bas9, contrairement aux vœux du Parlement, qui voulait qu’il s’allie à la Hollande et à la Suède. Le roi de France lui envoya Henriette comme messagère, sous couvert d’une innocente réunion de famille. Le 1er juin 1670, aidée par l’ambassadeur Colbert de Croissy, Madame obtint de son frère qu’il signe le traité secret de Douvres. En échange de sa conversion au catholicisme, qu’il s’engageait à rendre publique le moment voulu, Charles obtiendrait de la France troupes et subsides pour établir l’absolutisme en Angleterre. Bien que ce traité fût irréalisable, il consacrait le triomphe d’Henriette. En récompense de ses bons offices, Louis XIV lui accorda l’exil du chevalier de Lorraine, au grand dam de Monsieur. Celui-ci avait été tenu à l’écart des tractations avec le roi d’Angleterre, ce qu’il supporta mal. Mais Henriette ne savoura pas longtemps sa revanche : à peine rentrée à Saint-Cloud, elle fut prise d’atroces douleurs et mourut, le 30 juin. On chuchota qu’elle avait été empoisonnée avec un verre d’eau de chicorée, sur ordre du chevalier de Lorraine et avec le consentement implicite de son indigne époux. Peut-être succomba-t-elle à une péritonite, ce que sembla confirmer son autopsie. On l’inhuma à Saint-Denis et Bossuet prononça la plus célèbre de ses oraisons funèbres : « Madame se meurt ! Madame est morte ! » Le décès de sa sœur affligea Charles II, mais pas au point de le brouiller avec son cousin, qu’il voulut soutenir militairement en 1672, lors de l’invasion française en Hollande. Toutefois, le parlement de Londres refusa de financer une participation anglaise à cette guerre impopulaire. En conséquence, dès 1674, Charles II dut négocier avec les Hollandais. Comble de maladresse, il tenta d’imposer une Déclaration d’indulgence en faveur des catholiques et des dissidents puritains. Dans une ambiance survoltée, le Parlement et une partie de ses ministres lui en dénièrent le droit. La vie privée du roi d’Angleterre irritait désormais ses sujets, après les avoir amusés. Passe encore qu’il ait eu un nombre incalculable de maîtresses, comme l’insupportable lady Castelmaine, titrée duchesse de Cleveland ou la truculente Nell Gwyn (une vendeuse d’oranges devenue comédienne), mais quand il s’avisa d’introniser la charmante Louise de Querouailles, ses sujets grincèrent des dents. Cette Bretonne de petite noblesse avait été dame d’honneur de Madame, qu’elle avait accompagnée à Douvres. Elle espionnait maintenant pour Louis XIV. Charles passa outre et la titra duchesse de Portsmouth. Le peuple la surnommait ironiquement « Mrs Carewell10 » et marmonnait : « Le roi a déjà une putain, qu’a-t-il besoin de prendre une putain française ? » Ses grands airs amusaient Nell Gwynn, qui se déchaîna : « Cette duchesse fait la personne de qualité […] Eh bien ! […] Pourquoi s’est-elle faite putain ? Elle devrait périr de honte ! » Chaque fois qu’un grand nom mourait en France, Louise prenait ostensiblement le deuil. Nell Gwynn se moqua d’elle en se promenant toute vêtue de noir. Comme on lui demandait de qui elle déplorait la perte, elle répondit en souriant : « Mais de la duchesse de Portsmouth… On dit qu’elle s’est noyée en prenant les eaux à Bath. » Une autre fois, alors que la foule la prenait pour la Française et injuriait son carrosse, elle se mit à la portière et cria : « Arrêtez, bonnes gens, je suis la putain protestante ! » Et le peuple, ravi, l’acclama. En 1675, la position de Mme de Portsmouth fut menacée par l’arrivée inopinée d’Hortense Mancini. Séparée de son mari, le duc de Mazarin11, elle s’était établie en Savoie, où elle avait séduit Charles-Emmanuel II. À la mort de ce dernier, la veuve mit Hortense à la porte. La belle Mazarinette s’installa alors à Londres, où Charles II lui accorda une pension. Courtin, l’ambassadeur de France, informa Louis XIV qu’il fallait ménager Hortense, en passe de devenir la favorite officielle. Mme de Mazarin s’allia aux ennemis politiques de la duchesse de Portsmouth, et, si elle avait eu la tête politique, peut-être eût-elle remporté la partie. Mais elle commit l’erreur de s’amouracher du prince de Monaco. Jaloux, Charles II lui supprima sa pension, avant de la rétablir sur les conseils de Mme de Portsmouth, qui se montra magnanime. Bien mieux, encouragée par l’ambassadeur de France, qui avait tout intérêt à ce que règne la concorde entre elles, Louise se réconcilia avec Hortense et… coucha avec elle. L’histoire enchanta Charles II, « car rien ne titill[ait] plus l’imagination de ce libertin que des histoires salées de dames12 ». En 1677, le Parlement l’obligea à consentir au mariage de sa nièce avec le stathouder Guillaume III, grand adversaire du Roi-Soleil. Ce dernier en éprouva un vif dépit et n’eut aucun scrupule à financer l’opposition à son cher cousin. Il entretenait ainsi habilement la confusion en Angleterre. Charles II parvint néanmoins à conserver sa couronne au milieu des passions : « Ainsi ce roi qui avait, avec tant de charme, trahi l’Angleterre, deux Églises, sa femme et toutes ses maîtresses, put maintenir jusqu’à la mort son voluptueux, son périlleux équilibre13. » En février 1685, lors d’une grande fête donnée à Whitehall, ses courtisans purent le voir entouré de ses trois duchesses : Mmes de Cleveland, de Portsmouth et de Mazarin. Même s’il donnait l’apparence de beaucoup s’amuser, il avait mauvaise mine, ce que notèrent certains observateurs. Le lendemain, à son réveil, il s’évanouit. Les médecins et sa famille investirent sa chambre, forçant Louise de Querouailles à se retirer dans ses appartements. L’austère Macaulay, dans sa célèbre Histoire d’Angleterre, a raconté la suite : « C’est au milieu de cette splendeur, achetée au prix de sa faute et de sa honte, que la malheureuse femme se laissa aller à l’excès d’une douleur qui […] n’était pas complètement égoïste. […] Au milieu de la frivolité et des vices de son existence, [elle] n’avait perdu ni tout sentiment religieux ni cette sensibilité qui fait la gloire de son sexe. » Louise appela donc auprès d’elle l’ambassadeur de France, M. de Barillon, et lui demanda d’intervenir auprès du duc d’York, le frère du roi, afin que Charles puisse mourir dans la foi catholique. Ce qui arriva discrètement dans les heures qui suivirent. Charles II avait prédit que son frère perdrait vite la couronne à cause de son zèle catholique et absolutiste. C’est ce qui se produisit : en moins de quatre ans, Jacques II réussit à se mettre à dos ses sujets. Il négligea orgueilleusement les conseils de modération que lui prodiguait Louis XIV. « Mon bon allié le prend bien haut, remarqua le roi de France, et pourtant il est aussi friand de mes pistoles que l’était son frère. » En intervenant sur le Rhin14, Louis commit l’erreur de laisser Guillaume III, son ennemi mortel, s’embarquer pour l’Angleterre. Terrifié et craignant de subir le sort de Charles Ier, son père, Jacques II ne songea plus qu’à mettre en sécurité en France son fils et son épouse, Marie de Modène. Comme nul Anglais n’osait assumer ce qui équivalait à une trahison, il eut recours au duc de Lauzun. Ce sémillant personnage avait joui naguère de la faveur de Louis XIV mais s’était perdu en prétendant épouser la Grande Mademoiselle, qui désespérait de rester célibataire. Après avoir donné son consentement, le roi avait reculé devant l’indignation de sa famille et fait emprisonner Lauzun à Pignerol. Au bout de dix années, libéré à la demande de Mlle de Montpensier, Lauzun se brouilla pourtant avec elle et s’installa à Londres, où la haute société l’accueillit avec bienveillance. « Sous tous les rapports, il était l’homme qui convenait. Plein de courage et accoutumé aux aventures excentriques, il joignait à l’esprit pénétrant et à l’amabilité railleuse d’un homme du monde un penchant prononcé pour le rôle de chevalier errant. […] Comme protecteur de la reine d’Angleterre et du prince de Galles, il rentrerait avec honneur dans sa patrie15. » Lauzun parvint à conduire Marie de Modène et son fils en France, où Jacques II les rejoignit. Louis XIV leur accorda une hospitalité royale et permit à la petite cour en exil de s’installer à Saint-Germain. Il exprima en outre sa satisfaction à Lauzun et lui rendit sa faveur. Toutefois, ses erreurs stratégiques et l’entêtement de Jacques eurent un résultat catastrophique : pour la première fois depuis trente ans, l’Angleterre redevenait hostile à la France, et ce au moment où la Succession d’Espagne se précisait16. * De tous les enfants d’Henriette d’Angleterre et de Monsieur n’avaient survécu que deux filles : Marie-Louise et Anne-Marie. Deux pions sur l’échiquier de leur royal oncle, qui les maria sans leur demander leur avis. La cadette, Anne-Marie, fut donnée au duc de Savoie, Victor-Amédée II, un nabot d’une laideur repoussante. À sa nièce qui fondait en larmes, Louis XIV rappela, pour la consoler, que la cour de Turin parlait un excellent français et qu’elle ne serait donc pas dépaysée ! Quant à l’aînée, Marie-Louise, elle connut un sort pire encore. Elle avait espéré épouser son cousin le Grand Dauphin, parce que, ainsi, elle serait restée à Versailles. Mais Louis XIV la destinait au roi d’Espagne, Charles II, demi-frère de la reine de France. Il convoqua sa nièce et lui dit que, puisqu’il n’avait pas eu de fille, c’était à elle que revenait l’« honneur » de régner à Madrid. Tout à sa joie de voir sa fille devenir reine d’Espagne, Monsieur laissa faire. Désespérée et en pleurs, Marie-Louise se jeta aux pieds de Louis XIV, qui se rendait à la chapelle. « Il serait étonnant de voir la reine catholique faire attendre le Roi Très Chrétien », lui répondit-il, moqueur. La mort dans l’âme, elle se soumit et le mariage par procuration eut lieu à Fontainebleau le 31 août 1679. Elle partit pour sa nouvelle patrie et épousa officiellement Charles II à Burgos. C’était la Belle et la Bête : entre l’exquise brunette au nez aquilin et son mari, il n’y avait rien de commun. À dix-neuf ans, le roi d’Espagne n’avait de beau que ses cheveux blonds, qui lui venaient de sa mère, la redoutable Marie-Anne d’Autriche, à la fois nièce et seconde épouse de Philippe IV. Un pareil mariage, venant après des siècles d’unions consanguines, avait produit un dégénéré. Laid, bavant, méchant, Charles II détestait tout ce qui venait de France, mais il s’éprit étonnamment de sa nouvelle femme. Alors commença le calvaire de Marie-Louise d’Orléans, qui inspira Victor Hugo dans Ruy Blas. Séparée de sa suite française, comme le voulait l’usage, elle souffrit des brimades d’une cour étouffante, et particulièrement de sa camarera mayor, la sinistre duchesse d’Albuquerque, qui étrangla un jour sa perruche sous prétexte que ses bruits l’indisposaient. Elle supporta aussi les hommages de son mari, qui s’échinait à la déflorer. On le voyait pénétrer dans ses appartements le soir en robe de chambre et bonnet de nuit, une lanterne à la main, une épée dans l’autre et une bouteille d’eau sous le bras. Mais rien n’y faisait et elle demeurait stérile. L’ambassadeur de France, le comte de Rebenac, soudoya des valets pour examiner les caleçons de Charles II. « Débilité naturelle du roi », conclut-il. L’enjeu était pourtant de taille : si Marie-Louise était stérile, c’était, selon la faction autrichienne à laquelle appartenait la reine mère, la faute du gouvernement français. Les ennemis de la jeune reine firent courir ce bruit, suscitant machiavéliquement l’indignation du peuple de Madrid, qui lui cria un jour : « ¡ Si pares, pares para España ! ¡ Si no pares, a Paris ! – Si tu fais un enfant, fais-le pour l’Espagne ! Si tu n’en as pas, retourne à Paris ! » Sur les injonctions de Louis XIV, Marie-Louise tenta maladroitement d’influencer la politique espagnole, dans un sens évidemment favorable à la France. Elle commit de surcroît l’erreur de fréquenter des dames perdues de réputation. Il s’agissait ni plus ni moins d’Olympe et Marie Mancini ! Après bien des tribulations, les deux sœurs avaient échoué à Madrid. Séparée de l’oppressant connétable Colonna, Marie avait pris des amants. Quant à Olympe, accusée d’avoir empoisonné son époux, elle avait dû quitter la France sur ordre de Louis XIV. Le danger se rapprochait de la reine. Un moine proposa à Charles II de pratiquer un exorcisme qui lui permettrait d’avoir un héritier. Il frotterait des reliques sur les corps nus des époux couchés. Bien entendu, si un charme avait été jeté sur Marie-Louise avant sa venue en Espagne, l’exorcisme ne pourrait agir. Conclusion logique de la coterie autrichienne : son mariage serait alors nul et non avenu, et il faudrait la répudier. Informé de cette manœuvre abjecte, l’ambassadeur de France la conjura de ne pas se prêter à cette mascarade. Elle résista donc, déchaînant le courroux de son mari, mais elle parvint à le convaincre de son innocence au terme d’une scène dramatique. Se sentant menacée, elle écrivit à Versailles pour qu’on lui envoie un contrepoison. Trop tard. Le 12 février 1689, au terme d’une brève agonie, elle rendit l’âme en demandant de n’accuser personne de sa mort. Officiellement, elle avait été victime du choléra. Curieuse épidémie de choléra qui n’avait frappé qu’elle ! Annonçant cette disparition à Louis XIV, l’ambassadeur de France parla d’un poison répandu soit dans des huîtres, soit dans une tourte aux anguilles ou un verre de lait à la glace. Ses soupçons se portaient tantôt sur le comte d’Oropesa, le Principal ministre, tantôt sur la camarera mayor ou sur le comte Mansfeld, l’ambassadeur d’Autriche… Pour sa part, Saint-Simon incrimina Olympe de Soissons, qu’il accusa d’avoir servi à la reine le fameux verre de lait à la glace. On ne prête qu’aux riches… * Deux mois après la mort de la malheureuse, la guerre éclata entre la France et l’Espagne. Le parti autrichien triompha en remariant Charles II à Marie-Anne de Neubourg, belle-sœur de l’empereur Léopold. Pas plus que sa devancière, elle ne parvint à donner un héritier à son mari, lequel ne l’aimait pas, tout en la craignant. « Le roi tremble devant la reine jusqu’aux os », assura un témoin. Avide et coléreuse, manipulée par une femme de chambre cupide appelée la Berlepsch, elle fit amèrement regretter Marie-Louise. À l’automne 1696, après une violente maladie, le roi d’Espagne testa en faveur du prince électoral Joseph-Ferdinand de Bavière, son petit-neveu par sa sœur Marguerite-Thérèse, l’infante des Ménines de Vélasquez, première épouse de l’empereur Léopold Ier et morte depuis longtemps17. Cette solution bavaroise avait les faveurs de l’Angleterre et de la Hollande, puisqu’elle évitait un partage de la monarchie espagnole et donc un agrandissement de la France. Ainsi les puissances protestantes devenaient-elles paradoxalement les garantes de l’intégrité de la monarchie catholique. Cependant, selon l’empereur Léopold, la totalité de la succession devait revenir à son fils cadet, l’archiduc Charles, issu de son troisième mariage ! Tenace et s’appuyant sur un traité secret qui datait de mai 1689, Léopold envoya alors à Madrid un ambassadeur intrigant, le comte de Harrach, qui recourut à la reine et à sa camarilla. Pendant une maladie du roi, Marie-Anne de Neubourg tenta un coup de force en faisant entrer dans Madrid un régiment allemand commandé par son cousin, le prince de Hesse-Darmstadt. Charles II se rétablit, mais la tentative autrichienne n’eut d’autre effet que « d’aigrir les esprits et leur faire craindre d’autant plus la domination allemande ». Le roi d’Espagne refusa donc de faire à Léopold Ier la moindre nouvelle promesse relative à l’héritage. De son côté, Louis XIV manda à Madrid un habile ambassadeur, le marquis d’Harcourt, qui avait pour mission d’acheter les Grands et de contrecarrer les menées autrichiennes. Au contraire d’Harrach, Harcourt se fit apprécier : il fréquenta les courses de taureaux et proposa aux Espagnols l’aide de la France pour débloquer la ville de Ceuta, assiégée par les Maures. Le parti français se renforça avec l’adhésion du cardinal Portocarrero, archevêque de Tolède. Le Roi-Soleil accepta la solution bavaroise et fit des offres précises à l’Angleterre : l’essentiel de la succession espagnole reviendrait au petit prince électoral en échange d’un dédommagement pour le Grand Dauphin en Navarre et à Naples. Cette solution raisonnable, qui aurait évité le sanglant conflit qui allait suivre, fut remise en question le 6 février 1699 par la mort du prince électoral, peut-être empoisonné sur ordre de l’Autriche. On en revint donc aux projets de partage. Louis XIV fit preuve de modération18, mais l’empereur Léopold refusa malheureusement le moindre accommodement. Tout au plus accepta-t-il de laisser le Pérou au Dauphin ! Passant outre son opposition, la France, l’Angleterre et la Hollande conclurent en mars 1700 un traité de partage définitif. Lorsque son contenu fut connu à Madrid, il y déclencha une explosion de colère, non contre Versailles, mais contre l’Angleterre et la Hollande, jugées seules responsables. Le parti français fit valoir à Charles II qu’il devait tester en faveur de l’un des petits-fils de Louis XIV, le duc d’Anjou ou le duc de Berry. Si l’empereur déclenchait une guerre, seul le Roi-Soleil serait alors en mesure de défendre militairement l’unité de la Succession. Irrésolu, Charles II demanda son avis au pape, qui lui conseilla également la solution française. De plus en plus démoralisé, le roi d’Espagne fit ouvrir le cercueil de Marie-Louise dans la crypte de l’Escurial. Le corps était intact, ce qui confirmait la thèse de son empoisonnement, l’arsenic ayant pour propriété de conserver un cadavre en l’état… Charles se jeta sur la dépouille en pleurant. « Vous aurez beau faire, je serai bientôt au ciel avec elle », dit-il à ceux qui tentaient de l’arracher à la défunte. Agonisant, il appela à son chevet le cardinal Portocarrero et lui déclara qu’il lui confiait son âme, son royaume et son honneur. Il mourut le jour de la Toussaint 1700. Portocarrero dévoila le contenu de son testament : Charles avait légué ses royaumes au duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. À défaut, le duc de Berry en hériterait. Ensuite seulement venaient, en cas de refus français, l’archiduc Charles et enfin le duc de Savoie. Et c’est « avec une grande joie que les Espagnols prirent congé de la Maison d’Autriche ». * Le roi de France apprit la nouvelle le 9 novembre. Fallait-il accepter ou non le testament ? Le risque était grand de devoir faire la guerre à l’Europe entière, mais la majorité des ministres, dont le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Torcy, et le Grand Dauphin opinèrent en faveur de l’agrément. En revanche, Mme de Maintenon se montra plus réservée. Le 16 novembre, le roi convoqua l’ambassadeur d’Espagne et, lui montrant son petit-fils, lui dit : « Vous pouvez le saluer comme votre roi. » L’ambassadeur se jeta à genoux, baisa la main de son nouveau souverain et lui débita un long compliment en castillan. « Il n’entend pas encore l’espagnol, dit Louis XIV. C’est à moi de répondre pour lui. » Il fit ensuite ouvrir à deux battants la porte de son cabinet, qui donnait dans la Grande Galerie, et, présentant le duc d’Anjou à la cour, déclara : « Messieurs, voilà le roi d’Espagne ; la naissance l’appelait à cette couronne. […] C’était l’ordre du Ciel. » Puis, se tournant vers son petit-fils, il ajouta : « Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir, mais souvenez-vous que vous êtes né français pour entretenir l’union entre les deux nations ; c’est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix à l’Europe. » L’ambassadeur d’Espagne s’exclama alors qu’il n’y avait plus de Pyrénées. Le duc d’Anjou, désormais Philippe V, partit le 1er décembre. Le 22 janvier 1701 il franchissait la frontière, le 18 février il entrait dans Madrid. L’accueil de ses nouveaux sujets fut triomphal. On le connaissait pourtant mal : âgé de dix-sept ans, réservé, il avait été « élevé en cadet », c’est-à-dire qu’il ne connaissait presque rien et que ses précepteurs lui avaient surtout appris l’obéissance. Madame Palatine, seconde épouse de Monsieur, le trouvait gentil mais un peu bête. Prétendant le guider, son grand-père s’immisça dans tout, et particulièrement dans le choix de sa femme. Comme il fallait absolument maintenir le duc de Savoie dans le camp franco-espagnol, on décida que sa fille Marie-Louise-Gabrielle épouserait Philippe V. gée de douze ans, sœur cadette de la duchesse de Bourgogne, elle avait été très bien élevée par sa grand-mère et par sa mère, qui n’était autre qu’Anne-Marie d’Orléans, la sœur de feu Marie-Louise d’Orléans. Ainsi, douze ans après, la nièce occupait la place de sa tante ! Le mariage par procuration eut lieu à Turin et la nouvelle reine d’Espagne gagna Nice, où l’attendait une flotte franco-espagnole pour la conduire à Barcelone. Elle était accompagnée de sa camarera mayor, la célèbre princesse des Ursins. Encore belle malgré son âge (elle allait sur ses soixante ans), celle-ci dissimulait derrière des manières parfaites et un épais maquillage une ambition effrénée. Marie-Anne de La Trémoïlle avait eu une vie de roman. Fille du marquis de Noirmoutier, elle avait d’abord épousé le prince de Chalais, qui avait dû s’exiler pour s’être battu en duel. Elle l’avait suivi à l’étranger, mais après le décès du mari, survenu à Venise, avait refusé d’obéir à sa famille et de rentrer en France. Elle s’était installée à Rome, où elle avait séduit le duc de Bracciano, chef de la Maison Orsini, rivale des Colonna. Le vieil homme l’avait épousée et en avait fait sa légataire universelle. Veuve pour la seconde fois, elle avait vendu son duché et pris le nom de princesse des Ursins, forme francisée d’Orsini. Mme des Ursins savait à merveille se créer des obligés. Tout Rome avait fréquenté son salon et le Sacré Collège avait défilé chez elle. Le cardinal Portocarrero avait ainsi été l’un de ses soupirants. Versailles l’appréciait également, car elle avait su convaincre son mari, pourtant Grand d’Espagne, d’adhérer à la faction française. Mme des Ursins capta la faveur de Mme de Maintenon et celle de la duchesse de Savoie. Cette dernière suggéra son nom quand il fallut trouver une camarera mayor qui ne fût ni française ni espagnole, mais qui eût l’usage des cours. Marie-Anne des Ursins présentait à cet égard tous les avantages : d’origine française et Grande d’Espagne, elle était cependant devenue Romaine par son mariage ! La vieille princesse fit la connaissance de Marie-Louise-Gabrielle de Savoie. Elle la trouva « trop petite, mais avec cette beauté que donne l’esprit19 », et s’employa à lui plaire. Sa carrière en dépendait ! Tout le monde embarqua sur la splendide galère royale espagnole, mais comme la Petite Reine avait le mal de mer, Mme des Ursins ordonna de débarquer à Marseille et de gagner la frontière espagnole par petites étapes. Impatient de connaître sa femme, Philippe V vint à leur rencontre et les deux cortèges se rejoignirent à Figueras. Le mariage fut à nouveau célébré et le roi se déclara satisfait de son épouse. En revanche, celle-ci, déjà chagrinée par le départ de son escorte piémontaise, s’effraya de la morgue espagnole. Après une première nuit calamiteuse, Mme des Ursins parvint habilement à la calmer. Bientôt elle régenta le couple royal, qui ne put plus se passer d’elle. La guerre éclata au printemps 1702, et très vite les désastres se succédèrent, en Allemagne comme en Italie, où on avait envoyé Philippe V faire de la représentation. Il fit pire en se brouillant avec son beau-père, l’ondoyant Victor-Amédée II, qui lui demandait l’honneur d’un fauteuil en sa présence. Un duc de Savoie traité à l’égal d’un roi ? Philippe refusa, sans songer que cela donnait une bonne excuse au fourbe Piémontais pour passer dans le camp autrichien, qui menaçait Milan. Louis XIV écrivit à son petit-fils que, s’il lui donnait protocolairement raison, il l’engageait à être plus diplomate à l’avenir. Le roi de France et Mme de Maintenon se montrèrent d’abord fort satisfaits des services de la princesse des Ursins, mais la faveur qu’ils lui témoignaient excita la jalousie, non seulement des Espagnols, mais de certains Français. Le nouvel ambassadeur de France à Madrid, l’abbé d’Estrées, était de ceux-là. Il envoya à Versailles un courrier où il disait pis que pendre de la princesse, allant même jusqu’à affirmer qu’elle avait contracté un mariage secret. Mme des Ursins ouvrit la lettre et nota en guise de commentaire : « Pour mariée : non ! » Puis elle recacheta la missive et l’expédia à Versailles, où Louis XIV prit fort mal son insolente apostille. Furieux, il ordonna à Philippe V de la chasser. Elle obéit ; mais comme Marie-Louise-Gabrielle réclamait son retour et que Mme de Maintenon intervenait en sa faveur, Louis XIV pardonna. Prudente, elle se rendit à Versailles, et l’accueil qu’il lui fit témoigna de sa faveur retrouvée. Il lui demanda de rentrer bien vite à Madrid pour y défendre tout à la fois les intérêts de la France et ceux de son petit-fils. Elle s’offrit le luxe de refuser et il fallut accepter ses exigences : outre les classiques dignités et pensions qu’elle réclamait pour sa famille, elle obtint la nomination d’un nouvel ambassadeur de France, plus réceptif à ses desiderata. Elle demanda surtout de pouvoir correspondre à l’avenir avec Mme de Maintenon, qui transmettrait directement ses rapports au roi. Accordé ! On avait besoin d’elle en Espagne, où la situation s’aggravait. À la fin de 1705, l’archiduc Charles débarqua à Barcelone. Galvanisé par sa femme et la princesse, Philippe V se porta à sa rencontre, mais le siège de la cité catalane tourna au désastre. Il lui fallut fuir en France, tandis que la reine et Mme des Ursins quittaient Madrid pour Burgos. Elles n’y restèrent pas longtemps et regagnèrent vite la capitale, les Espagnols s’étant soulevés contre l’invasion étrangère. Les bonnes nouvelles semblèrent s’enchaîner. En 1707, Marie-Louise-Gabrielle accoucha d’un fils, bien sûr prénommé Louis en l’honneur de son aïeul. On titra le bébé prince des Asturies. Cela faisait presque un demi-siècle qu’on n’avait vu pareille bénédiction à la cour d’Espagne, et les Madrilènes laissèrent exploser leur joie. La Savoyana devint leur idole et Mme des Ursins rapporta à Mme de Maintenon qu’ils aimaient la jeune reine plus que Dieu lui-même. La vie de cette dernière n’était pourtant pas de tout repos : Philippe V était à la fois bigot, dépressif et obsédé sexuel. Il passait son temps à l’honorer, tout en songeant à abdiquer au moindre désastre militaire. À plusieurs reprises, Versailles fut sur le point de l’abandonner, mais Mme des Ursins, qui s’était identifiée à la cause espagnole, le convainquit chaque fois de faire front. Malgré la perte des Pays-Bas et de l’Italie, malgré l’invasion de l’Espagne, elle ne cessa jamais de lui relever le moral. Elle se brouilla avec Philippe d’Orléans, le futur Régent, que son oncle Louis XIV avait envoyé avec des troupes au secours de Philippe V. Il avait remporté la bataille de Lerida mais s’était ensuite compromis dans d’obscures intrigues avec les Anglais, qui lui faisaient miroiter le trône d’Espagne. Exaspéré par l’omnipotence de la camarera mayor, qui lui avait refusé une grâce pour l’une de ses maîtresses, il porta un jour un toast devant ses officiers au « con capitaine » (c’est-à-dire la Maintenon) et au « con lieutenant » (la des Ursins). La princesse se fit un plaisir de rapporter ces propos à Mme de Maintenon. Mieux, elle fit croire au Grand Dauphin que le duc d’Orléans souhaitait la mort de Philippe V pour régner à sa place et convoler avec l’ancienne reine, Marie-Anne de Neubourg, après avoir empoisonné sa femme ! Que voulait exactement Louis XIV ? D’un côté, il cherchait désespérément à mettre fin à la guerre par tous les moyens ; de l’autre, il écrivait à son petit-fils de résister et de garder Mme des Ursins à ses côtés. Celle-ci s’était mise en tête d’obtenir une principauté souveraine aux Pays-Bas, une manière d’assurer sa retraite. Pour hâter la fin des hostilités, Louis XIV pressa Philippe V de faire des concessions. Le roi d’Espagne regimba et Versailles en voulut égoïstement à Mme des Ursins de s’être montrée solidaire de son jeune souverain. Le 10 décembre 1710, la bataille victorieuse de Villaviciosa trancha enfin la question : Philippe V garderait son trône. Quant à la paix générale, elle fut enfin acquise aux congrès d’Utrecht et de Rastatt (1713-1714). Épuisée, la France échappa au pire, mais l’Espagne perdit Gibraltar, Minorque et ses dernières possessions aux Pays-Bas et en Italie20. Marie-Louise-Gabrielle soutint les revendications de sa chère princesse aux Pays-Bas. Mme des Ursins crut habile de mettre la reine d’Angleterre dans son jeu, ce qui exaspéra les diplomates français ainsi que le représentant de l’Autriche, le célèbre prince Eugène21. Cependant, la reine d’Espagne se mourait. Atteinte d’affreux bubons au cou qu’elle s’efforçait de dissimuler sous une fraise, elle dut tolérer jusqu’à la fin les assauts de son mari. Elle mourut à Madrid en février 1714, suscitant l’affliction générale. Philippe V était à la chasse, dans les environs de l’Escurial, quand il vit passer son convoi funèbre. Habitué à dissimuler ses sentiments, il ne marqua aucune émotion. Pour Mme des Ursins, l’heure était grave : elle devait trouver d’urgence une remplaçante, le roi ne pouvant se passer d’épouse. Mais il fallait que la prétendante fût suffisamment docile. On raconta que pour faire patienter Philippe V la vieille princesse se serait livrée à lui. Ce n’est pas absolument certain, mais Versailles le crut. De toute façon, il fallait une reine et l’impérieuse camarera mayor commit l’erreur d’écouter l’insinuant abbé Alberoni, sorte d’ambassadeur officieux du duc de Parme. Elle le connaissait depuis longtemps et il la régalait de petits plats italiens qu’il lui mitonnait avec gourmandise. Il l’amusait aussi par son esprit. Un jour qu’elle se plaignait de l’outrage des ans qui la forcerait bientôt à la retraite, il lui répondit galamment que : La nature prudente et sage Force le temps à respecter Les charmes de ce beau visage Qu’elle n’aurait pu répéter. Devant une pareille flagornerie, Mme des Ursins daigna sourire. Plus sérieusement, elle prêta l’oreille à ses propositions matrimoniales. Élisabeth, la nièce du dernier Farnèse, végétait à Parme, maltraitée par sa mère, qui l’avait reléguée sous les combles du palais ducal. Elle était cultivée et pleine de prestance, mais Alberoni se garda de préciser que la variole l’avait quelque peu défigurée. Cendrillon royale elle serait, disait-il, éternellement reconnaissante à Mme des Ursins de l’avoir choisie pour régner à Madrid. La vieille princesse aurait pourtant dû se méfier ! En effet, Élisabeth était la nièce de Marie-Anne de Neubourg, l’ex-reine d’Espagne, mise sur la touche depuis quinze ans et qu’on avait exilée à Bayonne. Rendant la princesse des Ursins responsable de sa déchéance, la veuve de Charles II brûlait de se venger. Mais l’essentiel n’était pas là : orgueilleuse, Élisabeth était tout simplement bien décidée à gouverner seule son faible mari. Mme des Ursins mordit pourtant à l’hameçon. Sur ses conseils, Philippe V choisit la Parmesane, au grand désappointement de Louis XIV, qui aurait rêvé mieux pour lui. Le vieux roi fit connaître son déplaisir à la princesse, qui n’en eut cure. À la veille de Noël 1714, la camarera mayor tomba pourtant de haut lorsqu’elle rencontra l’Italienne à Quadraque. En plein hiver, Élisabeth Farnèse la fit arrêter et chasser comme une soubrette indélicate. Philippe V ne leva pas le petit doigt pour celle qui avait sauvé son trône. Il lui adressa une brève lettre dans laquelle il se disait fâché d’apprendre sa chute. Il ne pouvait, affirmait-il, s’opposer à la volonté de la nouvelle reine, mais conservait ses pensions à Mme des Ursins. L’ex-maîtresse toute-puissante de l’Espagne franchit la frontière à Saint-Jean-de-Luz le 14 janvier 1715, après un épuisant voyage. Ironie de l’Histoire : c’était précisément dans cette ville que Louis XIV avait épousé l’infante Marie-Thérèse cinquante-quatre ans plus tôt, renonçant de ce fait à Marie Mancini, peut-être son seul véritable amour. La princesse se plaignit de son sort à Louis XIV et à Mme de Maintenon, qui l’écoutèrent poliment et ne firent rien. Elle comprit alors que son rôle était terminé et qu’elle était désormais indésirable en France. Elle demanda donc ses passeports et prit le chemin de Rome. * Sa déconfiture marqua la fin des amazones du Grand siècle, qui préfigura la disparition de Louis XIV, survenue à Versailles le 1er septembre 1715. Certains remarquèrent que le Grand Roi n’avait pas survécu longtemps à son amour de jeunesse : en effet, Marie Mancini était décédée le 8 mai précédent. Elle séjournait alors à Pise, traînant de voyage en voyage l’amertume d’une existence ratée. Hortense et Olympe, ses remuantes sœurs, étaient déjà mortes depuis quelques années, chacune en exil. Les autres actrices diplomatiques du règne quittèrent la scène successivement : Marie de Modène, l’ex-reine d’Angleterre, mourut en 1718 ; Mme de Maintenon, « ex-reine de France », l’année suivante. Comme de juste, Marie-Anne des Ursins s’éclipsa la dernière. Elle éprouva auparavant l’amère satisfaction d’assister à la chute d’Alberoni. L’intrigant abbé, fait entretemps cardinal, était devenu le Principal ministre de Philippe V. Tout dévoué à Élisabeth Farnèse, il chercha à rallumer la guerre en Italie. La France et l’Angleterre ayant demandé son renvoi, l’ingrate reine d’Espagne ne s’y opposa pas (1719). Ainsi vengée, la princesse des Ursins finit sa vie à Rome, honorée par le Sacré Collège et maîtresse (platonique ?) d’un cardinal. Encore dévorée par la passion de l’intrigue, elle rêvait de faire régner en Angleterre le fils de Jacques II et de Marie de Modène. « Jacques III », prétendant légitime à la couronne, s’était en effet retiré à Rome, où il avait épousé Clémentine Sobieska, dont la grand-mère, ex-reine de Pologne, avait jadis côtoyé Mme des Ursins. La vieille princesse allait-elle rejouer auprès des Stuarts le rôle qu’elle avait tenu aux côtés de Philippe V et de Marie-Louise-Gabrielle ? Les chancelleries s’en émurent mais furent bientôt rassurées par la médiocrité du prétendant. En cela, il ressemblait effectivement à Philippe V. La mort seule put mettre fin aux ambitions insatiables de Mme des Ursins : elle s’éteignit à Rome le 5 décembre 1722, à l’âge de quatre-vingts ans. 1. L’infant Balthasar-Carlos, qu’avait naguère peint Vélasquez, était mort en 1646, et il faudrait attendre 1657 et la naissance du petit Philippe-Prosper, également portraituré par Vélasquez, pour que la couronne espagnole ait enfin un héritier mâle. (Les références complètes des sources mentionnées en notes sont réunies dans la bibliographie, chapitre par chapitre.) 2. Cette expression datait du temps de Charles Quint, mais elle était encore valable au milieu du XVIIe siècle. Outre l’Espagne proprement dite, Philippe IV possédait les Baléares, les présides du Maroc, la Sardaigne, la Sicile, Naples, les présides de Toscane, le Milanais, la Franche-Comté, l’Artois et les Pays-Bas. À ce « chemin de ronde », qui encerclait la France, s’ajoutait l’immense empire colonial en Amérique et dans le Pacifique (Philippines et Mariannes). Les contemporains disaient aussi que, lorsque la monarchie espagnole frappait du pied, la Terre entière tremblait. 3. Rappelons que la loi salique ne s’appliquait pas en Espagne : Charles Quint tint sa couronne de sa mère, Jeanne la Folle. 4. L’article 4 du traité stipulait que « moyennant le paiement effectif fait à Sa Majesté Très Chrétienne […] ladite sérénissime infante […] se contenterait de la susdite dot, sans qu’elle puisse après alléguer aucun autre droit ». 5. « Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez. » (Acte IV, scène 5.) 6. « Il la renvoya malgré lui et malgré elle », écrit l’historien romain Suétone dans ses Vies des douze Césars à propos de la passion de l’empereur Titus pour la reine juive Bérénice et de leur séparation au nom de la raison d’État. 7. Allusion au cimetière des Innocents, véritable charnier en plein centre de Paris. 8. Selon l’expression d’Ernest Lavisse dans sa biographie de Louis XIV. 9. Louis XIV attendit la mort de son beau-père Philippe IV pour formuler des prétentions aux Pays-Bas, invoquant le droit brabançon de dévolution qui réservait un héritage aux enfants d’un premier lit, en l’occurrence Marie-Thérèse. La « guerre de Dévolution » (1667-1668) se conclut par la paix d’Aix-la-Chapelle (1668) : la France recevait un grand nombre de places en Flandre (Lille, Douai…). Dix ans plus tard, par le traité de Nimègue, qui concluait la guerre de Hollande, Louis XIV arracherait cette fois la Franche-Comté à l’Espagne. 10. Jeu de mots sur care well (« faire du bien à ») et « Querouailles ». Le nom s’orthographie également « Queroual ». 11. Mazarin légua sa fortune et la main d’Hortense à un neveu de Richelieu, le marquis de La Meilleraye, à condition que celui-ci relève son nom et ses armes. 12. Pierre Combescot, Les Petites Mazarines. 13. André Maurois, Histoire d’Angleterre. 14. Rupture de la trêve de Ratisbonne et début de la guerre de la ligue d’Augsbourg (1688-1697). 15. Thomas Babington Macaulay, Histoire d’Angleterre… 16. Le traité de Ryswick (1697) mit fin à la décevante guerre d’Augsbourg. Malgré de brillantes victoires après huit années d’une épuisante guerre, Louis XIV dut renoncer à ses ambitions sur le Rhin et reconnaître Guillaume III comme roi d’Angleterre. 17. Marguerite-Thérèse avait eu une fille, Marie-Antoinette, pauvre enfant rachitique mariée à l’électeur de Bavière Max-Emmanuel. Marie-Antoinette décéda à son tour, léguant ses droits à son fils, le petit Joseph-Ferdinand. Cependant, l’empereur Léopold Ier, à la fois oncle et cousin de Charles II, rejetait la combinaison bavaroise : certes, Joseph-Ferdinand était son petit-fils, mais il avait fait naguère pression sur sa fille Marie-Antoinette pour qu’elle renonce à ses droits. Ni la cour de France ni celle d’Espagne ne reconnurent néanmoins la validité de cette renonciation. 18. Il proposa aux puissances maritimes de renoncer à l’Espagne et à son empire en faveur de l’archiduc Charles. En échange, la France recevrait la Navarre, le Guipúzcoa, des places fortes aux Pays-Bas, la Lorraine et la Savoie. En dédommagement, la Maison de Lorraine aurait Naples et la Sicile, et la Maison de Savoie obtiendrait le Milanais. 19. Jacques Almira, Le Bal de la guerre ou la Vie de la princesse des Ursins. 20. Victor-Amédée II, le beau-père de Philippe V, acquit à cette occasion la Sicile (qu’il devait bientôt échanger contre la Sardaigne) et avec elle la dignité royale, qu’il convoitait depuis si longtemps. Il était bien vengé de l’affaire du fauteuil ! 21. Le monde était décidément petit… Eugène de Savoie-Carignan, généralissime diplomate au service de l’Autriche et adversaire valeureux de Louis XIV, était le fils d’Olympe Mancini, la malfaisante comtesse de Soissons. Le mariage de Louis XV Un petit mâle trop précoce affole l’Europe Je n’ai jamais rien vu de si attendrissant. D’ARGENSON. Au vieux Roi-Soleil succéda un garçonnet de cinq ans « beau comme l’Amour », selon l’expression du marquis d’Argenson, l’un de ses ministres des Affaires étrangères. Au physique, le petit Louis XV avait de magnifiques yeux noirs, un teint de pêche et la taille bien prise. Au moral, les choses étaient plus inquiétantes : indolent, timide, hypocondriaque et renfermé, l’enfant-roi avait « l’air morne et bête1 ». Bête ou pas, il faudrait un jour songer à le marier – ce qui intéressait au plus haut point les chancelleries européennes –, d’autant que sa puberté précoce et désordonnée accéléra les choses. * En février 1721, Louis XV éjacula pour la première fois. L’avocat Mathieu Marais rapporte dans son Journal que « le roi a eu un mal fort plaisant et qu’il n’avait point encore senti. Il s’est trouvé homme. Il a cru être bien malade et en a fait confidence à un de ses valets de chambre, qui lui a dit que cette maladie-là était un signe de santé. Il a voulu en parler à Maréchal, son premier chirurgien, qui lui a répondu que ce mal-là n’affligerait personne, et qu’à son âge il ne s’en plaindrait pas. On appelle ça en plaisantant “le mal du roi”. » Ce qui était banal chez un Français normal prit l’allure d’une affaire d’État s’agissant de Louis XV. Cette précocité dissipait les alarmes qu’avaient suscitées de précédentes maladies, à la cour et parmi les chancelleries européennes, et rendait possible le mariage du roi. Il fallait à tout prix assurer la succession, car si Louis XV mourait sans héritier, une nouvelle guerre européenne pouvait éclater. En effet, selon les dispositions du traité d’Utrecht de 1713, le trône devait revenir à Philippe d’Orléans, désormais régent, en cas d’extinction de la branche aînée. Philippe V d’Espagne, petit-fils de Louis XIV et oncle de Louis XV, avait dû renoncer à ses droits, mais chacun savait qu’il ne s’y était pas résolu. L’Angleterre et la Hollande soutenaient le Régent2, le roi d’Espagne espérait l’aide de l’Autriche et d’une partie de l’opinion publique française. Le Régent et Dubois inspirèrent à Philippe V l’idée de négocier de nouveaux « mariages espagnols ». Louis XV épouserait l’infante Marie-Anne-Victoire, tandis que le prince des Asturies, l’infant don Luís, épouserait Louise-Élisabeth d’Orléans (Mlle de Montpensier), fille cadette du Régent. S’appropriant cette combinaison matrimoniale, Philippe V la proposa à l’ambassadeur de France, le marquis de Maulévrier, mais ne vit pas qu’il s’agissait d’un marché de dupes : Mlle de Montpensier et l’infant seraient mariés immédiatement, alors qu’il faudrait attendre encore dix ans pour que Marie-Anne-Victoire soit nubile. Durant ce laps de temps, bien des choses pouvaient advenir… Quoi qu’il en soit, à l’automne 1721, le duc de Saint-Simon fut envoyé à Madrid pour négocier le mariage, et l’échange des princesses eut lieu le 9 janvier 1722 dans l’île des Faisans, comme jadis pour Anne puis Marie-Thérèse d’Autriche. On avertit Louis XV au dernier moment pour obtenir son consentement. D’abord muet, l’enfant fondit en larmes. Son gouverneur, le vieux maréchal de Villeroy, le pressa : « Allons, mon maître, il faut faire la chose de bonne grâce. » À son tour, le Régent lui demanda s’il trouvait bon qu’on fît part de son mariage, et il acquiesça d’un signe de tête, au grand soulagement de l’assistance. Louis XV dut écrire une lettre de félicitations à son oncle de Madrid : « Je regarderai l’infante d’Espagne comme une princesse destinée à faire le bonheur de ma vie et je me tiendrai heureux moi-même de pouvoir contribuer au sien. » En réalité, il se désintéressa ostensiblement de l’affaire et déclara froidement au duc de Boufflers, qui venait de se marier : « J’ai aussi présentement une femme, mais je ne pourrai coucher de longtemps avec elle. » À Madrid l’ambiance était à la fête, Philippe V et sa seconde épouse, Élisabeth Farnèse, étant fous de joie à l’idée de donner leur fille à la France. Dévot et lubrique comme son père, don Luís attendait quant à lui impatiemment la venue de sa promise. Chaque soir, après avoir dit ses prières, il se masturbait avec excès devant le portrait de Mlle de Montpensier, si bien qu’il fallut ôter le tableau de sa chambre à coucher. * L’infante arriva à Paris le 2 mars 1722 et charma tout le monde, même si le duc de Bourbon – dit « Monsieur le Duc3 » –, qui détestait son cousin le Régent et critiquait la « ridicule alliance » espagnole, dit à voix suffisamment haute pour qu’on l’entende : « Cette infante a l’air bien enfant. » Elle n’avait que quatre ans et il n’était pas question de consommer le mariage. Jolie comme un ange, mutine et « charmante jusque dans ses bouderies », elle était très intelligente pour son âge. On l’appela l’« Infante Reine ». En revanche, le roi se montra glacial à son égard : « Madame, je suis charmé de vous voir arrivée en bonne santé », se contenta-t-il de lui dire, avant d’observer le plus profond mutisme. Désormais, il ne lui adressa presque plus jamais la parole et lui fit même dire un jour par le maréchal de Villeroy4 de cesser de le suivre. La vieille baderne obéit avec zèle : « Madame, le roi vous prie de n’en pas faire davantage et il l’ordonne comme votre seigneur et maître. » Il faut dire qu’à cette époque le jeune Louis XV ne s’intéressait guère encore aux femmes, mais plutôt aux garçons. La chose était connue de l’avocat Marais : « Les dames le suivent, mais il ne les aime, ni ne les regarde. » Dans le secret de sa garde-robe, il jouait à touche-pipi avec les ducs d’Épernon et de Gesvres, qui avaient le même âge et les mêmes goûts que lui. D’autres étaient de « sales polissons » et cherchaient à l’entraîner davantage encore du côté de Sodome. Parmi ces invertis, on citait M. d’Alincourt, petit-fils du maréchal de Villeroy, le duc de Boufflers, le marquis de Meuse et le marquis de Rambure. « Pour la plupart mariés, pas plus de vingt ans, envie de rire, trouvant plus excitantes les caresses interdites et la baise furtive […] que le coït conjugal. […] Ils caressaient le roi, guidaient sa main, lui apprenaient à jouir sans souci de femmes ni d’engrossements. Propos feutrés, enfoutrés5. » Une nuit d’août 1722, ces joyeux lurons organisèrent une partie fine dans le parc de Versailles, sous les fenêtres mêmes du château. La lune étant pleine, on y voyait comme en plein jour. Réveillée par le bruit, la duchesse de Boufflers se leva et vit son fils, en tenue d’Adam, poursuivi par le marquis de Rambure, également nu et en pleine érection. Ce fut d’Alincourt qui rattrapa le fuyard et le sodomisa quatre fois de suite, pendant que les autres membres de la troupe s’envoyaient en l’air dans les charmilles. Leurs râles réveillèrent toute la cour, qui se pressa aux fenêtres et n’en perdit pas une miette. Le scandale fut énorme. Pressé par le clan dévot, avec en tête Villeroy et le précepteur du roi, Mgr de Fréjus (futur cardinal de Fleury), le Régent dut se résoudre à sanctionner les coupables. Certains fautifs furent exilés. Le roi demanda innocemment ce qui leur valait ce châtiment et se vit répondre qu’ils étaient punis pour avoir arraché les palissades du parc. Le surnom d’« arracheurs de palissades » leur resta. Le jeune duc de La Trémoïlle, premier gentilhomme de la chambre, se chargea de consoler Louis XV. Intelligent et beau, il passait ses journées à broder et à faire de la tapisserie. Avec lui, le roi passa à la vitesse supérieure. Toujours dans le secret de la garde-robe, seul lieu où ils étaient certains de ne pas être surpris, ils pouvaient se masturber tranquillement. Allait-on revenir aux mignons d’Henri III, s’interrogeaient certains contemporains ? En juin 1724, le pot aux roses fut découvert et la foudre s’abattit sur La Trémoïlle, contraint de prendre femme et chassé de la cour. Louis dut donner son approbation au mariage de son ami. L’affaire transpira et fit beaucoup rire Voltaire : « Je vous dirai pourquoi M. de La Trémoïlle est exilé de la cour, écrivit-il à l’une de ses correspondantes. C’est pour avoir mis très souvent la main dans la braguette de Sa Majesté très Chrétienne. Il avait fait un petit complot avec M. le comte de Clermont6 de se rendre tous les deux maîtres des chausses de Louis XV et de ne pas souffrir qu’aucun courtisan partage leur bonne fortune. […] Tout cela me fait bien augurer de M. de La Trémoïlle, et je ne saurais m’empêcher d’estimer quelqu’un qui, à seize ans, veut besogner son roi et le gouverner. » Le cardinal de Fleury, quant à lui, rit beaucoup moins et décida de prendre les choses en main. Aidé par le confesseur du roi, il commença par agiter devant celui-ci la menace de la damnation éternelle. Pour faire bonne mesure et effrayer définitivement l’adolescent, on brûla vif quelques sodomites que l’on avait pris sur le fait dans les rues de Paris. * Les courtisans s’étonnaient et s’impatientaient de la froideur de Louis XV à l’égard du beau sexe. Le maréchal de Villars déclara : « Les dames sont toujours prêtes et l’on ne pourra pas dire : le Roi ne l’est pas. » Il convenait de le déniaiser, afin de le remettre dans le droit chemin et de le rendre « plus traitable et plus poli7 ». En juillet 1724, à l’occasion de fêtes données par Monsieur le Duc, qui avait succédé sept mois plus tôt au Régent comme Principal ministre –, la cour se déplaça à Chantilly. Dix-sept jeunes femmes avaient été recrutées pour attirer l’œil du chaste Hippolyte. Mme de La Vrillère, grande experte dans les choses de l’amour et qui avait été l’une des maîtresses du Régent, ouvrit le feu la première. Peine perdue : le roi resta de marbre. La très belle Mme d’Épernon tenta elle aussi sa chance, en vain. Sa Majesté retourna à Versailles avec son pucelage… « C’est dommage, car il est bien fait et beau prince, déplorait l’avocat Barbier. Mais si c’est son goût, qu’y faire ? Il est en place à ne point se gêner. » Les chansonniers s’en donnèrent à cœur joie : Margot la rôtisseuse Disait à son ami : « Que fait-on de ces gueuses Qu’on mène à Chantilly ? Quoi, pour un pucelage Fallait-il tout ce train De dix-sept putains ? » D’autres rimailleurs affirmèrent pourtant – sans preuves – que Mme de La Vrillère avait remporté un franc succès : De dix-sept bêtes qu’il courut, Quoique toutes fussent en rut, Il n’a choisi qu’une grand-mère8. […] Pour dresser un jeune coursier Et l’affermir sur l’étrier, Il lui fallait une routière. La cousine du roi, Louise-Anne de Bourbon-Condé, que l’on avait titrée « Mlle de Charolais », décida à son tour de tenter sa chance. gée de vingt ans, elle avait perdu sa virginité cinq ans plus tôt et était devenue une débauchée de premier ordre. Son meilleur fait d’armes avait été la conquête du duc de Richelieu, le libertin le plus fameux du temps. Sa réputation s’en était ressentie, et le marquis d’Argenson prétend qu’elle aurait été « receleuse, voleuse ou bouquetière, si elle était née dans le peuple ». Elle eut la fantaisie de se faire peindre en cordelier, vêtue de bure et tenant en main la corde de saint François, allusion ô combien scabreuse. Voltaire ne s’y trompa pas et lui envoya un quatrain émoustillé : Frère Ange de Charolais, Dis-nous par quelle aventure Le cordon de saint François Sert à Vénus de ceinture. Le roi l’aimait bien mais n’osait rien tenter avec elle, qui s’impatientait. Aussi lui glissa-t-elle un jour dans la poche des vers de sa composition : Vous avez l’humeur sauvage Et le regard séduisant. Se pourrait-il qu’à votre âge Vous fussiez indifférent ? Craignant un retour en grâce de La Trémoïlle, qu’elle rendait responsable de l’indolence de Louis XV, Mlle de Charolais demanda et obtint l’aide de Fleury. Le Vice appelait la Vertu jésuite à son secours ! Peine perdue. On tournait en rond… * À la fin de février 1725, une maladie de Sa Majesté précipita les choses. « La virilité inquiétante du roi, jointe à de courtes et violentes maladies, amenées tantôt par un accès de maladie, tantôt par la fatigue d’une journée de chasse, […] décida le duc de Bourbon à marier Louis XV9. » L’alerte avait été chaude pour Monsieur le Duc, que l’on entendit marmonner : « Je n’y serai plus pris : s’il guérit, je le marierai. » La mort sans héritier de Louis XV aurait signifié immanquablement l’avènement du fils de feu le Régent, le piètre duc Louis d’Orléans, qui avait une réputation de dévot et d’illuminé. Il fallait donc que le roi épouse au plus vite une princesse nubile. Le duc de Bourbon rompit alors vilainement l’accord passé avec l’Espagne trois ans plus tôt. Le 5 avril 1725, la « Petite Reine » fut renvoyée chez son père. Elle ne se remettra jamais complètement de cette humiliation, et son union avec le roi Joseph de Portugal, laid et dégénéré, n’arrangera pas les choses. L’opinion publique la vit partir sans regret, tant on était impatient de voir la succession assurée. « En effet, écrit Marais à propos de la pauvre Marie-Anne-Victoire, elle est trop jeune et ne croît pas d’une ligne en un an ; elle est nouée dans les reins et n’est pas propre à avoir des enfants, et toutes ses petites grâces et son esprit ne servent à rien pour cet ouvrage-là. » Amer, le duc d’Orléans hasarda ce commentaire désabusé : « Ainsi, tout ce que mon père a bâti est détruit. » À nouveau, la stabilité de l’Europe parut menacée : furieux de l’affront, Philippe V prit une série de mesures de rétorsion. Il massa des troupes sur les Pyrénées et laissa insulter les Français de Madrid. Mlle de Montpensier, sa belle-fille, entretemps devenue veuve de don Luís, dut regagner Paris avec sa sœur, Mlle de Beaujolais, que l’on avait pourtant promise trois ans plus tôt à l’infant don Carlos. Imperturbables, le comte de Morville, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, et ses commis énumérèrent gravement les « raisons de marier le roi » : « 1. la religion ; 2. la santé du roi ; 3. les vœux des peuples ; 4. la tranquillité dans l’intérieur ; 5. la confiance des puissances étrangères ; 6. les entreprises funestes… » Le paragraphe consacré à la santé du roi était ainsi rédigé : « Son état actuel a presque la consistance d’un homme formé. [À quatorze ans, Louis XV avait l’allure d’un garçon de dix-huit.] La dissipation d’esprit que procure le mariage apportera des fruits utiles à sa personne et à son royaume, sans altérer sa santé, au lieu que les dissipations du célibat y sont presque toujours contraires et donnent une inquiétude nouvelle à ceux qui s’intéressent sincèrement à la conservation du roi. » On dressa un « état général des princesses en Europe qui ne sont pas mariées, avec leurs noms, maisons, âge et religion ». Il y en avait 100 : 44 étaient trop âgées (plus de vingt-quatre ans), 29 trop jeunes (moins de douze ans), et 10 appartenaient à des branches cadettes ou ruinées. Il en restait donc 17. Les sept Allemandes et la Danoise furent rejetées, parce que protestantes ou déjà promises à d’autres princes. On écarta la jolie grande-duchesse Élisabeth Petrovna de Russie, à cause des origines roturières de sa mère. Il ne fut pas question non plus de l’infante Marie-Barbara de Portugal, les cas de démence étant nombreux chez les Bragance. De plus, choisir une infante portugaise après avoir renvoyé l’espagnole aurait poussé à bout Madrid. On abandonna les princesses de Lorraine et de Modène, car elles étaient apparentées à la famille d’Orléans. La fille aînée du prince de Galles avait la préférence de tous ceux qui étaient favorables à l’entente avec la Grande-Bretagne, toutefois il n’était pas certain qu’elle accepte de renoncer à l’anglicanisme, et le parlement de Londres empêcherait peut-être son abjuration. Restait – comme par hasard – les deux sœurs de Monsieur le Duc : Mlles de Sens (dix-neuf ans) et de Vermandois (vingt et un ans). La première fut écartée, car sa taille laissait à désirer. En revanche, la seconde offrait toutes les qualités, selon son frère, qui les énuméra au Conseil : descendante de Louis XIV, douce et jolie, elle était encore au couvent. Enthousiasmés, les ministres donnèrent leur accord. Fleury et le maréchal de Villars se montrèrent plus réservés, mais, comme le roi d’Angleterre refusait d’accorder la main de sa petite-fille, ils se résignèrent à se rallier à la candidature de Mlle de Vermandois. « Dieu, écrivit Villars, nous a donné un roi si fort qu’il y a plus d’un an que nous pourrions en espérer un dauphin. Il doit donc, pour la tranquillité de ses peuples et pour la sienne particulière, se marier plutôt aujourd’hui que demain. » La cour s’attendait à voir Mlle de Vermandois devenir reine de France, quand survint un événement qui changea tout10. La maîtresse de Monsieur le Duc, Mme de Prie, eut la curiosité de connaître celle qui allait devenir sa souveraine, et se rendit à son couvent. Se présentant sous un faux nom, elle lui laissa entendre la bonne nouvelle. Imperturbable et hautaine, Mlle de Vermandois commit l’erreur de critiquer la maîtresse de son frère, sans se douter qu’elle parlait justement à la « méchante créature ». Furieuse, Mme de Prie quitta le parloir en murmurant : « Vas, tu ne seras jamais reine ! » De retour auprès de son amant, elle lui représenta que sa sœur, orgueilleuse et entêtée, ne lui obéirait jamais. Au contraire, elle prendrait ses ordres auprès de leur mère, l’altière Mme la Duchesse douairière, que Monsieur le Duc craignait comme la peste. Elle lui démontra également qu’il était politiquement risqué de trop humilier la maison d’Orléans. Effrayé, le duc de Bourbon abandonna l’idée de voir sa sœur devenir reine de France. On revint à la case départ ! * Mme de Prie se remit en chasse avec ses amis. Ne voulant décidément pas d’une reine qui lui fît de l’ombre, la marquise se souvint de Marie Leszczynska, fille de Stanislas Ier, ex-roi de Pologne. Le pauvre homme, naguère placé sur le trône par Charles XII de Suède, avait été chassé par Pierre le Grand. En attendant des jours meilleurs, il vivotait à Wissembourg avec son éteignoir de femme et leur fille. Celle-ci, assez jolie et vertueuse, n’était pas une inconnue. Son père l’avait proposée au duc de Charolais et au duc de Bourbon, qui avaient fait attendre leur réponse. De passage à Wissembourg, revenant de Rastadt où il était allé négocier le mariage du duc d’Orléans avec une princesse de Bade, le comte d’Argenson l’avait remarquée, et de retour à Paris il avait vanté ses mérites. Mais les choses n’étaient pas allées plus loin. Par bonheur pour Stanislas, Mme de Prie se souvint de celle qui n’avait même pas été retenue par les commis du ministère des Affaires étrangères sur la fameuse liste des dix-sept ! Plus que sa naissance modeste, ils avaient surtout redouté que ses parents et leur suite ne viennent en France, sur ses talons, profiter des largesses de Louis XV. Le 24 février 1725, au moment de la maladie du roi, Mme de Prie dépêcha auprès d’elle le peintre Pierre Gobert, chargé de faire son portrait, officiellement pour Monsieur le Duc. Le 21 mars, l’artiste apporta le tableau à Marly, où il fit la meilleure impression aux dires de Mme de Prie, qui s’empressa d’en informer Stanislas sans lui révéler le fond de l’intrigue. Le 2 avril, à la veille du départ de Marie-Anne-Victoire, l’ex-roi de Pologne apprit enfin officieusement que sa fille était destinée non au duc de Bourbon mais à Louis XV. Malgré la censure et les peines de prison encourues pour avoir parlé du mariage du roi, les gazetiers répandirent la nouvelle. Ce fut un beau tapage ! Après une gamine de cinq ans, on versait dans l’excès inverse en choisissant une « vieille » de vingt et un ans ! Selon Barbier, cette union « étonne tout le monde. Il ne convient, en effet, en aucune façon au roi de France, d’autant que la maison Leszczynski n’est pas une des quatre grandes noblesses de Pologne. Cela fait de simples gentilshommes, et c’est une fortune étonnante pour cette princesse ». Marais renchérit dans l’indignation : « Les Polonais sont les Gascons du Nord, et très républicains. Quel intérêt pourrons-nous avoir avec de tels gens ? » On craignait que la future reine n’arrive accompagnée de jésuites : « La famille du roi Stanislas est gouvernée par les jésuites ; il va en venir avec eux, comme si nous n’en avions pas assez ! » On redoutait aussi que Mme de Prie ne la gouverne. Les ennemis de la favorite, se souvenant que celle-ci se prénommait Agnès, concoctèrent une parodie de L’École des femmes, dans laquelle Mme de Prie faisait la leçon à la Polonaise : Notre roi vous épouse et, cent fois la journée, Vous devez bénir l’heur de votre destinée. Contemplez la bassesse où vous avez été Et du prince qui m’aime admirez la bonté, Qui de l’état obscur de simple demoiselle Sur le trône des lys par mon choix vous appelle. Le Roi Très Chrétien marié à une Cendrillon, fille d’un roi électif ? Quel mauvais goût ! Le grand-père maternel de Louis XV, le roi de Sardaigne Victor-Amédée II, s’en mêla et se plaignit de ne pas avoir eu son mot à dire ; il déconseillait un mariage aussi médiocre. Toutes les cours européennes s’étonnaient également d’un pareil choix. À Nancy, la duchesse de Lorraine se lamentait : « J’avoue que pour le roi il est surprenant qu’on lui fasse faire pareille mésalliance. » Il est vrai que sa propre fille avait été écartée par Monsieur le Duc. On chantonnait : Par l’avis de Son Altesse [Monsieur le Duc] Louis fait un beau lien. Il épouse une princesse Qui ne lui apporte rien. Ou encore : On dit qu’elle est hideuse, Mais cela ne fait rien, Car elle est vertueuse Et très fille de bien. * Le 27 mai 1725, Louis XV annonça son mariage : « J’épouse la princesse de Pologne. Cette princesse, qui est née le 23 juin 1703, est la fille unique de Stanislas Leszczynski, comte de Lesno, ci-devant staroste d’Adelnau, puis palatin de Posnanie, et ensuite élu roi de Pologne au mois de juillet 1704. » Le duc de Bourbon annonça – cette fois officiellement – à Stanislas la bonne nouvelle. Le 5 août, le duc d’Antin, ambassadeur extraordinaire du roi, demanda la main de Marie au nom de son maître. Émue, elle répondit : « Je prie le Seigneur que je fasse le bonheur du roi, comme il fait le mien. » Cependant, les adversaires du mariage polonais n’avaient pas perdu espoir. Une lettre anonyme avertit Monsieur le Duc que Marie avait les doigts palmés et qu’elle était épileptique. Alarmé, il dépêcha à Wissembourg un médecin chargé de vérifier la bonne constitution de la pouliche destinée à l’étalon royal. Duphénix (c’était le nom du praticien !) rassura son maître : rien à dire sur la Polonaise. Il confirma qu’elle était vierge, avec un beau teint et de belles dents, qu’elle n’avait pas les « humeurs froides » et pourrait donner le jour à un dauphin. Bref, elle était bonne à saillir. Connaissant l’ignorance de Louis XV en matière de beau sexe – ce qui signifie qu’il était encore puceau –, Fleury s’inquiéta. Il chargea le valet de chambre Bachelier, un parfait noceur, de placer sous les yeux du roi des statuettes obscènes et de suspendre dans sa chambre douze tableaux représentant les amours des patriarches. Pieuse tentative, en cette occasion, d’appeler la religion à la rescousse ! Bachelier présenta aussi à son jeune maître une série de tableaux licencieux : « Une succession de scènes décrivant les progrès de l’entreprise amoureuse, de la plus chaste à la plus érotique. Dans la première, un berger conte fleurette à sa bergère ; dans la deuxième, il tâche de vaincre la cruelle ; dans la troisième, celle-ci lui accorde un baiser ; dans la quatrième, les gestes du galant s’enhardissent ; et ainsi de suite, jusqu’au tableau final qu’il n’est pas nécessaire de décrire11. » À l’étonnement de tous, Louis se montra impatient de connaître enfin sa nouvelle épouse. Par un temps affreux, le mariage fut célébré à Fontainebleau, le 5 septembre 1725. La toilette de la reine dura trois heures, durant lesquelles le roi envoya dix fois aux nouvelles. À onze heures du soir, une fois les festivités achevées et les portes closes, il donna à son épouse « sept preuves de tendresse ». Ils restèrent ensemble jusqu’à dix heures le lendemain matin. Il confirma publiquement qu’il avait honoré sept fois son épouse, « en s’étendant infiniment sur la satisfaction qu’il avait eue de la reine », écrivit Monsieur le Duc à Stanislas. « Le roi, du moment où il avait vu Marie Leszczynska, laissait éclater les naïfs symptômes du désir amoureux. Il montrait une gaieté inexprimable et comme la satisfaction tapageuse d’un adolescent en bonne fortune12. » Invité à Fontainebleau, Voltaire confirma qu’« on fait tout ce qu’on peut ici pour réjouir la reine. Le roi s’y prend très bien pour cela. Il s’est vanté de lui avoir donné sept sacrements, pour la première nuit, mais je n’en crois rien du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples ». « Les nuits suivantes furent à peu près égales », selon le maréchal de Villars. Louis se montrait galant. À quelqu’un qui vantait devant lui la beauté d’une dame de sa cour, il rétorqua sèchement : « La reine est la plus belle. » Fleury s’inquiéta de cette ardeur et prétendit imposer au roi des « nuits de jeûne », à quoi Marie Leszczynska répliqua avec bon sens que « si l’on voulait un dauphin, il fallait en prendre les moyens » ! La Polonaise fit ce que l’on attendait d’elle et accoucha en juin 1727 de jumelles, Mmes Élisabeth et Henriette de France. Fièrement, Louis XV fit remarquer qu’en ayant fait deux enfants à sa femme du premier coup il démentait ceux qui l’avaient jugé incapable de procréer. Un dauphin naquit en 1729 : la France était provisoirement brouillée avec l’Espagne, mais la succession au trône était assurée. * Louis XV avait épousé à la fois Marie Leszczynska et les intérêts de son beau-père. En 1733, à la mort d’Auguste II, son vieil ennemi et compétiteur, Stanislas résolut de recouvrer le trône de Pologne. L’Autriche et la Russie s’y opposèrent, soutenant Auguste III. À Versailles, un puissant parti mené par Chauvelin, secrétaire d’État aux Affaires étrangères, estimait qu’il était nécessaire que le roi de France soutienne la cause de son beau-père. La guerre de Succession de Pologne commençait, mais le prudent Fleury se contenta d’envoyer à Dantzig une petite escadre au secours de Stanislas, préférant concentrer le gros des efforts contre l’Autriche en Lombardie. Finalement, les puissances s’accordèrent sur un compromis officialisé en 1737 : Auguste III demeura roi de Pologne et Stanislas abdiqua pour la seconde fois. En dédommagement, il reçut en viager la Lorraine, dont le duc, François III, futur empereur d’Autriche, se vit accorder en échange le grand-duché de Toscane, où la dynastie des Médicis était en passe de s’éteindre. Il fut convenu qu’à la mort de Stanislas, les duchés de Lorraine et de Bar seraient rattachés à la France… ce qui arriva en 1766, lointaine conséquence du mariage. 1. Edmond-Jean-François Barbier, Journal d’un avocat de Paris. 2. Triple Alliance de 1717. 3. Louis-Henri de Bourbon-Condé, septième prince de Condé, était le petit-fils de Louis XIV par sa mère, Mlle de Nantes. 4. François de Neufville de Villeroy (1644-1730) était un ami d’enfance de Louis XIV, qui l’institua gouverneur du futur Louis XV. 5. Chantal Thomas, L’Échange des princesses. 6. L’un des frères cadets du duc de Bourbon, connu pour ses débauches. 7. Barbier, Journal d’un avocat de Paris. 8. Elle avait trente-six ans ! 9. Edmond et Jules de Goncourt, Les Maîtresses de Louis XV. 10. Raconté par Soulavie dans ses Mémoires historiques… 11. Maurice Lever, Louis XV, libertin malgré lui. 12. Edmond et Jules de Goncourt, Les Maîtresses de Louis XV. L’alliance autrichienne Bernis et la Pompadour : diplomates de tous les plaisirs Il avait l’art de dorloter l’amour. CASANOVA parlant de Bernis. La fin de la guerre de Succession de Pologne avait été une humiliation pour l’empereur Charles VI. Celui-ci, pauvre valétudinaire sans héritier mâle, se préoccupa de sa propre succession, qu’il régla selon une Pragmatique Sanction qui stipulait que la Bohême, la Hongrie et les domaines héréditaires de la Maison de Habsbourg reviendraient à sa fille Marie-Thérèse. Le mari de cette dernière, François de Lorraine, recevrait la couronne impériale. Charles VI passa ses dernières années à faire valider cette disposition par les puissances européennes, mais il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu’elles renieraient leur parole à la première occasion. Ce qui arriva à la mort de l’empereur, à l’automne 1740 : les droits de Marie-Thérèse furent contestés par l’Électeur de Bavière et le roi de Prusse, Frédéric II, qui se jeta sans attendre sur la Silésie. Malgré les réticences de Louis XV et de Fleury, le cabinet de Versailles crut que se présentait là une occasion unique d’abaisser les Habsbourg – adversaires séculaires de la France – en leur arrachant la dignité impériale. Ainsi s’ouvrit la longue et décevante guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), qui aboutit à une impasse. Fort logiquement, Louis XV en conclut que, l’ennemi principal étant désormais l’Angleterre, qui nous combattait sans relâche en Amérique et aux Indes, il fallait conserver la paix sur le continent et donc se réconcilier avec la Maison d’Autriche. L’opinion publique ne comprit pas la nécessité de ce sensationnel renversement d’alliances, d’autant que l’instrument en fut la ravissante et très controversée marquise de Pompadour, nouvelle favorite du roi. * Après être resté fidèle à sa femme pendant sept ans – un record, si l’on songe à toutes les opportunités qui s’offrirent à lui –, Louis XV s’était lassé d’une épouse trop sage qui, de son côté, se plaignait de devoir « toujours coucher, toujours accoucher ». Se considérant désormais libre de forniquer, il prit successivement comme favorites les trois sœurs de Nesle. La dernière, la belle et altière Mme de Châteauroux, qui faisait office de Principal ministre depuis la disparition du vieux Fleury, mourut en décembre 1744. La cour attendit impatiemment de voir à quelle heureuse élue le roi jetterait son mouchoir. C’est à cette époque que Louis XV remarqua la jeune et jolie Mme d’Étiolles, qui se plaçait sur son passage lorsqu’il chassait dans la forêt de Sénart. gée de vingt-trois ans, dotée d’un teint éblouissant et d’yeux gris-vert ravissants, elle était « un morceau de roi » et guettait l’occasion, prête à forcer le destin. Son lointain cousin Binet, valet de chambre de Louis XV, ne cessait de vanter à celui-ci les mérites de sa parente. Selon la petite histoire, le roi et Mme d’Étiolles échangèrent leur premier baiser lors d’un bal costumé, dans la Grande Galerie du château de Versailles, le 25 février 1745. La tradition a retenu qu’il était déguisé en if, tandis qu’elle portait un domino noir. La fête était donnée pour les noces du dauphin, qui épousait l’infante Marie-Thérèse-Raphaëlle, sœur de la pauvre Marie-Anne-Victoire, promise à Louis XV vingt ans plus tôt et renvoyée dans les conditions que l’on sait ! Le roi et la belle ambitieuse se revirent trois jours plus tard, à un autre bal, cette fois à l’Hôtel de Ville. Les choses allèrent ensuite très vite, et en juin une ordonnance royale prononça la séparation de Mme d’Étiolles d’avec son mari. Elle fut titrée marquise de Pompadour et présentée officiellement à la reine. Ceux qui croyaient à une passade se trompaient : cette maîtresse eut le génie de durer, « réveillant la curiosité et la bonne humeur du roi. Elle régna peu à peu sur sa vie privée. […] Avec elle, Louis XV découvrit avec ravissement les plaisirs et les agréments d’une liaison bourgeoise », raconte Jean-Marie Rouart dans la biographie qu’il a consacrée à Bernis1. Dans son Journal, le duc de Luynes résume l’étonnement méprisant de la cour : « Si le fait était vrai, ce ne serait vraisemblablement qu’une galanterie et non pas une maîtresse. » Son origine roturière – elle était née Jeanne-Antoinette Poisson, fille d’un père condamné pour malversation et d’une mère s’étant illustrée dans la galanterie – déchaîna la haine publique. Son patronyme excita surtout la verve des rimailleurs, qui chantèrent sur l’air de Tes beaux yeux, ma Nicole : Autrefois de Versailles Nous venait le bon goût. Aujourd’hui la canaille Règne et tient le haut bout. Si la cour se ravale, De quoi s’étonne-t-on ? N’est-ce pas de la halle Que nous vient le poisson ? Ou encore, sur l’air des Trembleurs : Les grands seigneurs s’avilissent, Les financiers s’enrichissent, Tous les Poissons s’agrandissent. C’est le règne des vauriens Une petite bourgeoise Élevée à la grivoise, Mesure tout à sa toise, Fait de la cour un taudis. En tant que nouvelle favorite, on lui accorda un appartement à Versailles, mais elle ressentit l’urgente nécessité d’avoir à ses côtés un ami dont elle serait sûre, et qui la guiderait dans le monde de la cour, qu’elle connaissait mal. Elle en avait effectivement bien besoin, puisqu’elle employait des expressions qui sentaient la roture, n’ayant pas encore percé tous les secrets de la bienséance. Certes, ses lapsus amusaient Louis XV, mais cela ne pouvait durer si elle voulait garder sa place. En somme, il lui fallait un professeur de maintien efficace et de confiance. * Comme le roi partait dans les Flandres pour y faire la guerre aux Anglo-Hanovriens alliés à l’Autriche et que l’étiquette commandait qu’elle se retirât dans son domaine d’Étiolles, elle se souvint fort à propos du jeune et sémillant abbé de Bernis et obtint qu’il puisse l’y suivre. Ils se connaissaient depuis longtemps, mais sans plus : Bernis était heurté par les origines modestes de la Poisson, laquelle se désolait de cet ostracisme mondain. Issu d’une vieille et noble famille du Vivarais tombée dans la gêne, François-Joachim de Pierre de Bernis s’était fait apprécier jusque-là pour son esprit. Sa frivolité et son manque de vocation lui avaient valu l’inimitié de Fleury. Le cardinal lui avait dit durement que tant qu’il serait en vie il ne lui accorderait aucune faveur. Alors Bernis avait osé répondre : « Fort bien, Monseigneur, j’attendrai. » Et ce bon mot l’avait lancé dans le monde. Grand et joufflu, toujours gai, il tissa patiemment son réseau de relations, protégé par le vieux cardinal Melchior de Polignac, qui avait naguère été l’amant de la scandaleuse duchesse du Maine, et qui avait eu une belle carrière de diplomate : ambassadeur extraordinaire en Pologne, ministre plénipotentiaire à Utrecht, un temps disgracié par le Régent, il avait ensuite été nommé à Rome par le duc de Bourbon. C’était un mentor rêvé pour Bernis, qui dut néanmoins piétiner encore quelques années. « Si sa position financière était fâcheuse, ses espoirs de carrière ecclésiastique très incertains, il lui restait à établir solidement ses avantages : des amis fidèles et prestigieux, des femmes dévouées, une excellente image mondaine et, comme poète, une réputation d’écrivain léger, facile, à la lisière de